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rejetées par le penseur anglais n’ont pas plus de valeur qu’il ne leur en attribue, et si, sans sortir des conditions d’une induction scientifique, nous ne pouvons connaître sur la divinité plus qu’il ne se croit permis d’en affirmer.

I

Stuart Mill nous a raconté dans ses Mémoires l’impression profonde que fit sur lui la lecture de l’opuscule de Bentham publié, après la mort de l’auteur, par Georges Grote, sous le titre : Influence de la religion sur le bonheur du genre humain. On sait que, dans cet écrit, Bentham soutenait que la religion naturelle produit, tout compensé, plus de mal que de bien. La principale raison qu’il en donne, c’est que, nous représentant Dieu comme tout-puissant, et disposant, dans une vie future, de peines et de récompenses infinies et éternelles, la religion imprime fortement dans nos âmes l’idée d’un despote capricieux, qui prétend régner par l’épouvante et se complaît au spectacle de la misère du plus grand nombre. Cette thèse, Bentham l’établit avec sa vigueur ordinaire de logique, et il essaye de la confirmer par cette méthode, d’une exactitude plus apparente que réelle, qui consiste à faire la balance des plaisirs et des peines pour déterminer l’excédant de dommage imputable à la religion. Mais cette religion, il en présente l’idée la plus fausse : à l’en croire, elle n’enseigne qu’un Dieu armé d’un pouvoir illimité, sans rien dire ni de sa bonté, ni de sa sagesse, ni de sa justice. Les conclusions de Bentham n’auraient donc quelque valeur que s’il était.possible de reconnaître la religion naturelle dans l’image infidèle et mutilée qu’il nous en trace. Aussi comprend-on mal que Stuart Mill n’ait pas aperçu du premier coup un si grossier sophisme et qu’il ait attribué tant d’importance à un ingénieux paradoxe. Quoi qu’il en soit, on ne saurait douter qu’il ne l’ait pris fort au sérieux ; là est le point de départ de toutes ses spéculations dans l’ordre de la théologie naturelle ; par là s’explique le singulier dualisme auquel il aboutit.

Si en effet la conception d’un être tout-puissant est pour l’humanité la source de tous les maux signalés par Bentham, si d’ailleurs il est impossible d’extirper du cœur de l’homme la croyance à un être suprasensible dont la science môme semble attester l’existence par ses plus légitimes inductions, le seul moyen de rendre la religion inoffensive et de lui faire atteindre le maximum d’utilité dont elle est susceptible, c’est d’en éliminer l’hypothèse de l’omnipotence divine. La puissance de Dieu sera fort grande, mais elle ne sera pas