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nolen. — les maîtres de kant

Une fois engagé dans cet ordre de considérations, et bien résolu à ne rien sacrifier ni des droits de la physique ni de ceux de la mathématique, Kant ne tarde pas à reconnaître que les lois de la première ne sont pas celles de la seconde ; que les unes relèvent de l’entendement, les autres de la sensibilité. Déjà, dans la fausse subtilité des quatre figures du syllogisme, il avait fait la distinction de la connaissance sensible et de la connaissance logique. Cette opposition lui apparaît plus nette et plus profonde, maintenant qu’il réfléchit sur l’apparente contradiction des données des mathématiques et de celles de la physique. L’espace comme le temps ne peuvent être infinis qu’autant qu’ils sont de pures formes de l’intuition, c’est-à-dire qu’ils expriment non pas un ordre de choses données, mais un ordre de choses possibles. — D’un autre côté, Kant vient, dans l’essai sur la distinction des lieux, d’affirmer que l’intuition de l’espace est « primitive, absolue (absolut, ursprunglich) ; qu’elle n’est pas un objet de sensation extérieure, mais un concept fondamental (Grundbegriff), qui rend possibles tous les concepts particuliers de même nature[1]. » — Il ne reste plus qu’un pas à faire pour reconnaître que ce concept n’est, au fond, qu’une intuition subjective, une pure forme de la sensibilité, qui doit à sa nature idéale de se prêter à toutes les exigences de l’analyse mathématique et de la notion de l’infinité. C’est ainsi que, pour soustraire la vérité des théories mathématiques, dont Newton lui avait enseigné le prix, aux contradictions, aux antinomies, que l’entendement y découvre, Kant est conduit dans la thèse inaugurale de 1770 aux conclusions de l’esthétique transcendantale.

Il n’en continue pas moins à croire que l’entendement, avec ses principes à priori, atteint à la fois la vérité métaphysique et la vérité phénoménale. Non seulement il admet l’application des concepts aux apparences sensibles, ce qu’il appelle l’usage logique de l’entendement (usus intellectus logicus) ; mais il reconnaît encore un usage réel ou dogmatique de l’entendement. Il regarde ce dernier comme « une faculté qui permet au sujet de se représenter les choses que leur nature rend imperceptibles aux sens, les noumènes : Dieu, l’âme, la perfection morale. » Il conçoit sans hésiter un entendement capable de faire la synthèse d’une multitude infinie, sans tomber dans les antinomies auxquelles les lois de l’intuition sensible condamnent nécessairement la pensée humaine. En un mot, il voit dans le monde des phénomènes et dans celui des substances deux objets également légitimes de l’entendement ou de la

  1. Kant’s Werke, t. II, p. 391.