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leçons ; c’est la méthode analytique, dont les œuvres de Newton fournissent les plus parfaits modèles.

Kant fait successivement l’essai de la nouvelle méthode à l’esthétique, à la morale : ses lettres à Lambert et à Marcus Herz, non moins que la notice sur les cours, dont nous venons de parler, nous donnent une idée de la multiplicité de ses recherches et des prompts résultats auxquels il est conduit dans cette voie nouvelle. Mais il ne se sent pas encore assez maître de ses idées pour se décider à rien publier.

En 1766 pourtant, une occasion lui est offerte de s’expliquer sur le compte de la psychologie rationnelle, ou de la pneumatologie. Il n’était bruit de tous côtés que des visions de Swedenborg, de son commerce avec les esprits, de ses merveilleuses facultés de divination, qui semblaient se jouer du temps et de l’espace. N’y avait-il pas là une preuve irréfutable de l’existence et de la puissance des esprits, et capable de confondre ceux que laissait incrédules l’argumentation des métaphysiciens. Le scepticisme de Kant s’était accusé assez hautement en maintes circonstances à l’endroit de la métaphysique : on était curieux de savoir quelle impression produisaient sur lui les écrits et les merveilleuses aventures de Swedenborg. Obsédé de sollicitations, comme il l’écrit à Moses Mendelshonn, il compose à la hâte, sur un ton moitié grave moitié plaisant, les Songes d’un visionnaire expliqués par ceux des métaphysiciens. La pensée sérieuse qui se dérobe longtemps sous un ingénieux badinage et ne se manifeste clairement que dans le dernier chapitre, dans la « conclusion pratique de tout ce qui précède », c’est que la métaphysique, jusqu’à nouvel ordre, n’est, pour l’auteur, que la science des limites de la raison humaine. « Elle nous fait voir si le problème que nous agitons fait partie des choses que l’on peut savoir, et quel rapport il a aux données de l’expérience, qui sont l’unique fondement de tous nos jugements[1]. » Et l’expérience, à laquelle Kant veut ramener les psychologues, est celle dont il a tracé les règles dans l’essai précédent : c’est celle de la physique mécanique, la méthode analytique de Newton. L’analyse ainsi consultée ne nous apprend rien des esprits et de leurs prétendues facultés surnaturelles : l’expérience ne nous découvre nulle part ni substance immatérielle ni propriétés indépendantes du corps. La loi de l’expérience scientifique, telle que Newton la pratique, c’est que tous les ait sont soumis aux règles nécessaires du déterminisme mécanique, au principe de causalité et de substance : le propre des esprits et de

  1. Kant’s Werke, t. II. p. 375.