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fouillée. — la philosophie des idées-forces

appuyer l’édifice et qui doit en fournir tous les matériaux. Il faut donc commencer par tirer de ces matériaux primitifs, selon les lois ordinaires de l’architecture mentale, c’est-à-dire de la logique, tout ce qui peut s’en déduire ou s’en induire scientifiquement. La psychologie inductive et déductive, par exemple, devra être une science neutre et indépendante, comme le soutiennent avec raison les Anglais et chez nous M. Ribot. Nous n’admettons pas une psychologie matérialiste, conséquemment plus ou moins sectaire, où interviendraient les pensées du cerveau, les sensations des nerfs, les volitions réflexes, etc., et où les hypothèses (fussent-elles très plausibles) seraient confondues avec les thèses ; mais nous ne saurions davantage admettre, avec M. Ravaisson et la plupart des spiritualistes, qu’on doive enseigner une psychologie spiritualiste, où toute réconciliation sera impossible entre les philosophes, parce qu’on y fera sans cesse intervenir l’âme, l’esprit pur, la conscience pure de soi, la cause, la substance, l’unité, l’identité personnelles, etc. N’imitons pas les catholiques qui veulent qu’on enseigne « une médecine ou une physique religieuse » irréconciliable avec « l’esprit du siècle », et qui ne demanderaient pas mieux que de faire intervenir dans les mathématiques mêmes les mystères de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption. Une psychologie indépendante aura l’avantage d’établir, à la base même de la philosophie, une première conciliation entre les spiritualistes, les matérialistes et même les positivistes. — Il y a aussi, évidemment, ou il peut y avoir une cosmologie, une esthétique, une logique indépendantes. Quant à la morale, elle touche de plus près à la métaphysique ; malgré cela, il y a toute une théorie des mœurs qui doit demeurer la même, soit qu’on adopte comme principe suprême l’utilité, soit qu’on adopte le devoir absolu ; ce sera la vraie morale indépendante (qui n’épuise pas d’ailleurs toute la question morale). De même pour le droit naturel, la sociologie, la philosophie politique. Quoi de plus aventureux, par exemple, que défaire dépendre le droit légal de punir et la sanction pénale des systèmes métaphysiques sur le libre arbitre, sur la responsabilité, sur la sanction morale ? C’est cependant ce que font les philosophes qui prétendent « réfuter » les systèmes déterministes, utilitaires, naturalistes, en démontrant que ces systèmes sont « subversifs » et incompatibles avec l’ordre social. Il est aussi contraire à l’esprit philosophique qu’à l’esprit scientifique d’invoquer dans le domaine neutre de l’expérience et du raisonnement, par une anticipation perpétuelle, de prétendues conséquences immorales, antisociales, antireligieuses. Le philosophe, d’ailleurs, ne doit pas mesurer la vérité des choses à leur apparente utilité pour l’homme : il doit avoir, comme observateur et comme dialecticien, la