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nolen. — les maîtres de kant

plètement, nous expliquerait les changements de la forme du globe, comme ceux des êtres vivants qui sont sortis de son sein (les plantes et les animaux) ». Elle nous montrerait comment, par la seule action des causes physiques, chaque espèce se diversifie en races distinctes et plus ou moins durables. Le génie de Kant devance sur ce point les découvertes récentes des sciences naturelles et fait, non pas sans doute dans la formation des espèces, mais dans celle des variétés d’une même espèce, une part très étendue aux lois de la sélection naturelle. C’est ce que Schulz, dans Kant et Darwin, a très bien mis en lumière. Il suffit de parcourir les Leçons de géographie, l’Anthropologie, l’écrit sur les différentes races humaines, de 1775, et surtout celui de 1785, Détermination du concept d’une race humaine. Bornons-nous à citer quelques lignes de ce dernier : « L’Histoire de la nature démontrerait sans doute qu’un grand nombre d’espèces, en apparence diverses, ne sont que des variétés d’une même espèce : elle changerait le système suivi dans les écoles, la description de la nature, en un système physique pour l’entendement. Autrement, il faudrait admettre de nombreuses créations locales : ce qui multiplierait sans nécessité le nombre des causes ». C’est donc, comme les darwiniens d’aujourd’hui, pour répondre au même besoin d’unité, auquel la physique de Newton entreprend de donner satisfaction dans l’explication du monde, que Kant définit le plan et la méthode d’une véritable histoire naturelle des espèces.

De même que la diversité du monde astronomique ne réclame pas, pour être expliquée, d’autres principes que les lois générales de la physique mécanique, et que les changements les plus profonds s’y réalisent sous l’action lente, mais sûre, du temps, et par une gradation insensible ; de même la variété inépuisable des formes de la matière et de la vie sur notre terre est l’œuvre de la durée et des grandes lois naturelles. Il n’y a pas plus de révolution brusque dans un cas que dans l’autre ; et les interventions spéciales de l’action divine ne sont trop souvent que des inventions commodes de la raison paresseuse. Il faut, autant que possible, ramener aux lois du mécanisme universel les êtres vivants comme les corps bruts. C’est sous l’inspiration constante de cette pensée toute newtonienne que doit être rapporté tout ce que Kant a écrit sur l’histoire de la nature et de l’humanité, et les petits traités que les circonstances provoquaient, et son double et incessant enseignement de la géographie et de l’anthropologie.


Il semble, au premier abord, malaisé de trouver un lien entre ces recherches de pure science et les études philosophiques qui ressai-