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repentir, de l’espérance et de l’amour. » Voilà qui est très éloquent, sinon très instructif.

M. Berg s’est interdit volontairement tous ces développements faciles ; il est de l’école réaliste des Fechner, des Grant Allen, des Sully. Il prend la musique dans son état le plus rudimentaire, persuadé que l’étude de l’embryon doit précéder celle de l’organisme adulte. Réduite à la plus simple expression, la musique n’est que la succession de certains sons dont l’acuité et le mouvement sont soumis à des règles plus ou moins précises : quelle est la source du plaisir que nous éprouvons à les percevoir ? C’est à Darwin que l’auteur emprunte sa réponse. Darwin part du fait que chez les animaux chanteurs, les oiseaux, les insectes, certains mammifères, la saison du chant coïncide avec celle des amours ; il conclut, par induction, que les premiers hommes, ou plutôt les anthropoïdes dont nous descendons, faisaient usage de la voix pour attirer l’attention des femelles qu’ils convoitaient. Un rapport étroit s’établit à la longue entre le chant et les sentiments impétueux d’amour, de rivalité, de joie, de triomphe qui en accompagnaient toujours la production ; transmise par l’hérédité aux générations successives, cette association finit par devenir indissoluble et subsista alors même que le chant eut cessé d’être exclusivement affecté à son objet primitif. Voilà pourquoi la musique sert maintenant encore à traduire et à exciter des émotions analogues à celles qui lui donnèrent jadis naissance.

Cette hypothèse explique le plaisir musical en général, mais il reste à faire voir pourquoi l’oreille préfère tels sons à tels autres, pourquoi elle n’accepte pas indifféremment toutes les combinaisons de notes, de rythmes et d’accords. D’après M. Berg, ces exigences, que la sélection sexuelle et l’hérédité ont rendues de plus en plus générales et impérieuses, ont des causes purement négatives : l’oreille ne choisit pas les sons qui lui font le plus de plaisir, mais ceux qui l’affectent le moins péniblement. Les règles fondamentales de la musique résultent nécessairement, comme l’a montré Helmholtz, de la constitution de l’appareil auditif et de la physiologie des centres nerveux. Un ébranlement régulier, isochrone des filets acoustiques produit moins de fatigue qu’une oscillation intermittente et désordonnée : de là notre aversion naturelle pour les bruits et les dissonances que les interférences accompagnent. L’excitation continuelle des mêmes cordes lasse plus vite que l’alternance des différentes parties de l’oreille ; une acuité trop grande, une intensité excessive ou trop faible nécessitent encore des efforts pénibles : au contraire, le rythme, le retour périodique et prévu de certaines suites mélodiques, tout ce que fait la symétrie et l’ordonnance du chant, rend plus facile la perception, demande une moindre dépense d’attention et de force, partant charme l’oreille. Ce qu’elle recherche par-dessus tout, c’est un moyen terme entre le caprice sans règle et la monotonie sans intérêt.

Aux faits réunis par M. Berg, nous ajouterons une observation inté-