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route difficile des morts. Au Tong-King, on jetait à l’eau des animaux, pour que leurs âmes entrassent au service des princes défunts. Les Cafres ont la croyance qu’ils retrouveront les ombres de leurs bestiaux dans l’autre monde. A ces exemples, joindre les souvenirs de l’antiquité classique, qui doivent s’interpréter dans le même sens. La croyance à la métempsycose se greffera sans peine sur ces conceptions, qui considèrent l’âme de l’homme et des animaux comme entièrement détachable du corps.

Parmi les animaux dont le caractère a frappé particulièrement les peuples enfants, le serpent joue un grand rôle. Ses allures bizarres y prêtaient. Il y a là l’objet d’une étude pour laquelle M. Girard de Rialle a amassé de curieux matériaux. Mais ce qui vient d’être dit de l’âme des animaux va trouver un complément capital dans le culte des mânes. « Cette croyance en quelque chose d’inhérent à notre personnalité, qui survit à cette existence ou qui la continue dans un autre monde, paraît être universellement répandue dans l’humanité et avoir pris naissance avec elle. » Le chapitre consacré à ce sujet est du plus vif intérêt pour la philosophie. M. Girard de Rialle a groupé ingénieusement un grand nombre de faits, qui forment comme une introduction naturelle à l’histoire de la psychologie.

On se représente l’âme comme quelque chose de moins tangible, sans doute, de moins palpable que le corps, mais toujours comme saisissable et appréciable aux sens. On lui donne une forme humaine, subtile et amincie ; nous en retrouvons la trace dans la littérature latine et l’expression animula blandula vagula, en particulier dans l’iconographie chrétienne, où l’âme sort du corps sous la figure d’un petit être humain. L’ombre projetée par le corps a été mise fréquemment en rapport avec l’âme ; la respiration et le souffle, plus souvent encore. Le rêve a puissamment contribué aux théories primitives sur l’âme. Les figures qui y jouent un rôle sont réelles et par conséquent constituent un dédoublement des personnages vivants ou morts qu’elles représentent. Ce dédoublement s’applique au sujet lui-même ; il sort de son corps pour se livrer à la chasse, à la danse, etc. Le conte singulier d’Hermotime, dont l’âme, ayant été errer trop longtemps loin de son corps, ne retrouve plus ce dernier, que sa femme, le croyant mort, avait fait pieusement brûler, est l’expression d’une croyance antique. L’âme, pendant le sommeil, a la faculté de quitter le corps : quelquefois, par suite d’un accident, elle n’y peut pas rentrer. Un conte allemand rapporte qu’un écuyer vit sortir un serpent de la bouche de son maître endormi dans une forêt. Le reptile se dirige vers une montagne, dans les flancs de laquelle il pénètre, pour rejoindre bientôt le corps qu’il avait quitté. Le maître, à son réveil, raconte qu’il a « rêvé » qu’il pénétrait dans une montagne remplie de trésors. — Si l’âme quitte le corps, celui-ci tombe en faiblesse : le talent des sorciers est de la faire rentrer dans le corps qu’elle a abandonné et qui revient de la sorte à la saule. Certains d’entre eux remplacent au besoin une âme disparue