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analyses.spinoza. Dieu, l’Homme et la Béatitude.

son point d’appui dans l’individu, et la conception religieuse, qui le trouve au dehors, en Dieu, il choisissait franchement la dernière. Il se déclarait pour la grâce contre la volonté, pour l’amour contre la raison, pour l’humilité contre la, superbe, pour Pascal contre Épictète, ajoutons, contre Descartes et les mécanistes moraux, à qui il sait pourtant faire leur part. Il tendait, par-dessus Kant, la main à Schleiermacher.

La fin du traité, si définitives qu’en soient les conclusions, en est peut-être, dans la forme, la partie la plus confuse. Nous y trouvons d’abord la théorie de la vérité et de l’erreur, qui ne diffèrent que par le degré, l’erreur étant une vérité incomplète : la théorie des idées adéquates et inadéquates est ici en germe. Cette question amène celle du libre arbitre. L’entendement et la volonté ne font qu’un, c’est-à-dire que la volonté n’est pas libre. Un degré supérieur de connaissance peut seul nous affranchir d’un vouloir inférieur, d’un jugement inadéquat ; un désir ne s’efface non plus que devant un autre, dont l’objet nous apparaît comme meilleur et plus capable de conserver notre être.

Mais comment cette délivrance et la béatitude sont-elles possibles, si tout, dans le monde de l’esprit et dans celui de la matière, obéit à la fatalité ? C’est que l’âme, tout en étant l’idée du corps, n’en est cependant pas le produit. Il y a plus : si elle ne crée pas son mouvement, elle le dirige, non pas sans doute au sens propre du mot, mais en cet autre qu’il y a entre les deux correspondance nécessaire, et que l’âme, se délivrant d’elle-même par le progrès de sa connaissance et de son amour, se délivre aussi du corps qu’elle exprime, et, en s’en délivrant, le transforme, le délivre à son tour. L’âme n’agit donc pas sur le corps directement, mais par l’intermédiaire de ses idées, qui deviennent instruments de liberté, d’instruments de servitude qu’elles étaient. Mais ce n’est pas le raisonnement qui peut nous affranchir, s’il n’est accompagné de l’intuition, car son objet est lointain, celui des passions présent et fort. Le salut ne vient pas de la raison, mais de l’amour, et de l’amour divin.

Le passage de l’amour du corps à l’amour do Dieu est possible, parce que le corps fait partie de l’univers, c’est-à-dire tient à Dieu, et que la connaissance de Dieu est le terme, l’achèvement de la connaissance du corps. Connaître Dieu, c’est donc toujours pour l’âme connaître le corps, et elle ne sort pas d’elle-même, ni de lui, dans cette connaissance. Cependant, en s’unissant par l’amour à un objet éternel, elle devient éternelle elle-même et survit au corps, dont elle demeure l’idée, môme quand il a, dans l’apparence, cessé d’être : car il y a dans le corps aussi quelque chose d’éternel, son essence, ce qu’en représente une idée adéquate, et par quoi il se rattache à la substance infinie.

Ce passage de l’âme, idée du corps, à Dieu et à l’immortalité, est, dans l’Éthique même, un point obscur de la doctrine : nous sommes obligés ici de commenter un peu, en nous inspirant de la seconde rédaction ; la première n’explique rien et se contente de dire que l’âme