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analyses.spinoza. Dieu, l’Homme et la Béatitude.

Le premier point est la doctrine de Dieu substance universelle et infinie, c’est-à-dire du monde en Dieu. Spinoza recourt pour la fonder à l’argumentation commune. La substance ne peut être limitée que par elle-même ou par autre chose : la première hypothèse est absurde ; quant à la seconde, elle reviendrait à la première, puisque la cause limitatrice serait la véritable substance, serait Dieu, et que ce Dieu manquerait de puissance ou de bonté, c’est-à-dire se serait limité lui-même.

La démonstration de Spinoza est courte et obscure. Une note du manuscrit l’explique en la reproduisant développée. Il est clair que cette note, plus embarrassante que le texte, n’est pas de Spinoza. Nous n’en dirons pas autant de la précédente ni de la suivante. La première est une démonstration bien spinozienne de la définition 6 de l’Éthique : « J’entends par Dieu un être absolument infini, c’est-à-dire une substance composée d’une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. » Ici Spinoza pose ce qu’il démontrait dans le de Deo : on voit le progrès de la méthode. L’autre note (p. 11) est extrêmement remarquable, et jette un jour nouveau sur le sens vrai du spinozisme : « Dire que la chose est telle par la nature même, c’est ne rien dire : car une chose ne peut avoir de nature avant d’exister. Mais, direz-vous, on peut bien voir ce qui appartient à la nature d’une chose. Oui quant à ce qui concerne l’existence, mais non quant à ce qui concerne l’essence. Et il y a ici une différence entre créer et engendrer. Créer, c’est poser à la fois une chose par l’existence et par l’essence ; c’est pourquoi aujourd’hui dans la nature il n’y a que génération et non création, etc. » On voit combien Spinoza est déjà loin de ce naturalisme qui s’enferme dans le monde et s’en contente, sauf à le diviniser pour ne pas chercher plus haut ce qui l’expliquerait. Spinoza n’a jamais cru que la nécessité empirique fût une explication. Sans doute il accepte le monde de l’expérience, de l’existence, suivant son expression ; mais dans l’unité infinie de ce fait nécessaire il voit l’énoncé, non la solution du problème. Cette solution, où la chercher ? Dans un monde supérieur, celui des essences. Il est vrai que ce monde est éternel, incréé comme l’autre : « Pour ce que nous appelons ici créer, on ne peut pas dire qu’un tel acte ait jamais eu lieu, et nous ne nous servons ici de cette distinction que pour montrer ce qu’on en peut dire. » Mais cette nécessité sur laquelle repose la substance incréée n’est pas la nécessité a posteriori d’un objet ; le véritable nécessaire, c’est l’être, c’est l’idée de l’être, par laquelle toute chose est réelle et pensée. Peut-être irait-on un peu loin en disant avec M. Janet (article cité, p. 488) que pour Spinoza « toute perfection, tout bien coule de la substance comme de sa source »[1], et que « pour lui comme pour Platon Dieu est le bien en soi, l’idée du bien. » Mais, s’il n’est pas l’idée du

  1. C’est-à-dire que la substance est imparfaite parce qu’elle est imparfaite et qu’il n’y a pas de raison à chercher au delà du fait pur et simple.