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analyses.spinoza. Dieu, l’Homme et la Béatitude.

laissait communiquer l’Éthique. Ce théologien aurait donc cru à l’authenticité du livre, et nous ne saurions avoir un témoignage meilleur.

Quant aux raisons intrinsèques, le de Deo contient le chapitre sur le diable, indiqué par Mylius comme appartenant à la première rédaction de l’Éthique. Nous trouvons textuellement dans le traité certaines propositions et certains axiomes cités dans les lettres à Oldenburg. De plus, le de Deo ne saurait être un abrégé de l’Éthique : l’économie des deux ouvrages est trop différente ; il ne peut donc en être qu’une ébauche, c’est-à-dire que Spinoza en est l’auteur. Enfin les dernières lignes où il recommande à ses disciples de ne communiquer son livre qu’avec la plus grande circonspection révèlent clairement la main du maître. Ces preuves ajoutent peu de chose d’ailleurs à l’évidence qui ressort de la lecture de l’ouvrage. L’imperfection de la forme n’empêche pas qu’on n’y reconnaisse aisément la touche de Spinoza, si originale, et les allures de sa pensée.

Le de Deo et Homine se compose de trois morceaux distincts : le traité lui-même, les dialogues, l’appendice. Les dialogues, insérés entre les chapitres deuxième et troisième de la première partie, ne font, à vrai dire, pas corps avec l’ouvrage ; ils s’en distinguent, dit M. Janet, par un certain caractère mystique et oriental, par l’obscurité de la déduction, par le vague de la pensée. Ces raisons le portent à y voir ce que nous avons de plus ancien dans les écrits de Spinoza : peut-être seraient-ils antérieurs à l’influence de Descartes.

Nous ne partageons pas cet avis : l’influence de Descartes nous y semble au contraire évidente. Le premier dialogue met aux prises le dualisme cartésien avec la doctrine de la substance unique, en essayant d’élever cette doctrine au-dessus d’un panthéisme purement naturaliste, ce qui, soit dit en passant, contredit l’opinion de M. Avenarius, qui suppose une première phase naturaliste du système.

Si les dialogues sont ce que le traité renferme de plus ancien, l’appendice, dont le premier chapitre se présente sous la forme géométrique, est au contraire postérieur au traité. Ce chapitre paraît être une première rédaction du début de l’Éthique, qui en reproduit textuellement plusieurs axiomes et plusieurs propositions. Il serait donc contemporain des lettres d’Oldenburg (1661). Quant au traité lui-même, il est certainement antérieur à ces lettres et postérieur à l’année de l’excommunication (1656), puisque Spinoza, lorsqu’il l’acheva du moins, était éloigné de ses disciples.

L’espace nous manque pour donner autre chose ici qu’une vue générale de l’ouvrage et une idée des différences qui le séparent de l’Éthique. Il serait intéressant de suivre M. Janet dans l’analyse critique qu’il en fait et de marquer en détail, d’un traité à l’autre, les progrès extérieurs de la pensée spinozienne. Comme nous l’avons dit, si l’on peut parler de progrès, de développement, les termes d’évolution, de transformation ne seraient pas ici fort exacts, et il y aurait lieu de soumettre à rigou-