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boussinesq. — le déterminisme et là liberté

aux forces vitales après avoir reconnu qu’elles étaient insaisissables à toutes leurs recherches et à toutes leurs mesures, aurait-il sacrifié, lui aussi, la vague croyance à ces forces qu’il semble conserver encore, et se serait-il trouvé plus près qu’il ne pense d’admettre, avec moi, que la vie n’est ni une force mécanique, ni une puissance créatrice de forces mécaniques, c’est-à-dire modifiant les accélérations des atomes ou produisant des travaux évaluables en kilogrammètres ou en calories ; et que son action, comme principe directeur aux points de croisement des voies tracées par les lois classiques de la mécanique, n’en est pas moins réelle, pour échapper à nos instruments et à nos calculs. Alors la difficulté qu’il se pose (vers le bas de la page 521), touchant la question de savoir comment une cause de mouvements pourrait bien exister sans être ce que les mécaniciens appellent une force, lui aurait sans doute paru moins insoluble. Peut-être même n’y aurait-il vu qu’une subtilité ; car, outre que le bon sens regarde la vie comme irréductible aux énergies physico-chimiques et accepte par conséquent des causes de mouvement d’au moins deux sortes, n’ayant aucune commune mesure, ni précisément le même domaine, rien ne dit que les prétendues forces des mécaniciens soient bien réellement des principes d’action, et qu’elles ne soient pas, en dehors de leur sens géométrique strict, comme l’ont pensé avant moi L. du Buat[1] et M. de Saint-Venant, de purs fantômes créés par l’imagination, puis érigés en idoles par la routine[2].

Agréez, monsieur le Directeur, etc.

J. Boussinesq,
Professeur à la Faculté des sciences de Lille

    connue d’une certaine manière, sont bien moins obscurs que les phénomènes physico-chimiques ou purement vitaux, qui, accessibles seulement par leur côté externe ou géométrique, nous restent absolument impénétrables dans leur fond et sont dus à des causes dont nous n’avons aucune idée.

  1. Une biographie de ce fils du célèbre hydraulicien a été insérée à la suite de celle de son père, par M. de Saint-Venant, dans le volume de 1865 des Mémoires de la Société des sciences de Lille : c’est lui que M. Bertrand, dans un écrit de 1864 (Les progrès récents de la mécanique, à la Revue des Deux-Mondes), a inscrit en tête de la liste des géomètres dont les calculs auraient pu faire pressentir le résultat de la brillante expérience de Léon Foucault.

    L’idée de ne considérer mathématiquement que les mouvements ainsi que leurs lois, et non leurs causes, était celle du philosophe écossais Th. Reid. Cauchy pensait que les forces physiques existent à la manière des lois, mais pas autrement (Comptes rendus de l’Académie des sciences, 14 juillet 1845, t. xxi, p. 141). On peut voir à la note vi, placée à la suite de ma Conciliation du véritable déterminisme mécanique, etc. (p. 243), l’explication de la circonstance, purement psychique ou subjective, qui nous porte à attacher un sens d’effort à ce qui n’est, hors de nous, que des produits de masses par des accélérations.

  2. D’ailleurs, si l’on persistait à croire aux forces vitales, la nécessité de se