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boussinesq. — le déterminisme et la liberté

radicale du principe de la vie et, à plus forte raison, de l’intelligence, d’avec les énergies de la matière brute : on est tenu aussi de ne pas placer ce principe trop à côté ou à portée de la matière, mais de l’en éloigner notablement, en sorte qu’il ait beaucoup de chemin à faire au moment où il vient l’imprégner et se montrer au jour. Je conçois et je respecte de tels scrupules, que je suis particulièrement heureux de rencontrer chez mon savant contradicteur : mais je ne me crois pas interdit pour cela d’interroger les idées et les choses, de les fouiller en tous sens pour y dégager des points lumineux, de poursuivre, en un mot, la vérité partout où j’entrevois ses moindres reflets.

II. — Ceci me conduit à signaler un second malentendu, reproduit en divers endroits de l’article de M, Bertrand (p. 517, 521, 522). Là où, me plaçant dans celle de mes deux hypothèses qui est la plus hardie, je dis que la vie apparaîtra dès que se produiront des circonstances physico-chimiques nécessitant un principe directeur, M. Bertrand entend par cette « vie » la vie à sa plus haute expression, une vie consciente et libre. Or j’ai dit expressément au no 20, consacré à l’exposition de cette hypothèse (p. 112), qu’il ne peut être question, en cas pareil, que d’une vie « à l’état le plus rudimentaire, établissant la transition du minéral à un organisme nettement caractérisé…, pas même peut-être encore d’une vie végétale. » Et j’ai développé ma pensée au no 27, où j’insiste sur la distinction profonde qui sépare le mode d’action de la vie végétative d’avec celui de l’intelligence. Voici, en effet, ce que j’y énonce (p. 134) à propos du principe directeur préposé à la production des formes organiques, après avoir émis l’opinion que ses déterminations dépendent sans doute à chaque instant de l’état actuel du corps qu’il anime :

« Mais il semble, en considérant tout ce que l’hérédité dépose dans un simple germe, qu’il faudrait faire dépendre en outre le choix du principe directeur d’évolutions antérieures, de certaines circonstances effacées de l’état géométrique actuel, bien que subsistant d’une autre manière dans le système. Ce mode d’influence, sur le présent, d’un passé parfois lointain et paraissant n’avoir laissé aucune trace matérielle, serait peut-être le vrai caractère de la vie inconsciente ; il établirait la transition entre la manière dont se comportent les forces physico-chimiques, constamment esclaves de l’état actuel, et le mode d’action, propre à la vie pleinement consciente, que définit le principe de finalité, et qui, subordonnant au contraire le présent à l’avenir, dispose le premier en vue du second. N’est-il pas naturel, en effet, que le pouvoir régulateur de l’évolution vitale ait sa manière spéciale d’agir, se distinguant à la fois de celle des agents