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NOTES ET DOCUMENTS



DE L’HISTOIRE DE LA SENSATION ÉLECTRIQUE


On s’est beaucoup occupé, depuis quelque temps, de l’histoire des interprétations que la conscience a successivement données, à l’homme des impressions reçues par ses sens. On a cherché à établir, par exemple, qu’au temps des poèmes homériques la désignation par le langage des diverses couleurs était encore très-vague[1].

Il existe une autre sensation dont l’histoire pouvait offrir un certain intérêt : c’est celle de la rupture ou de la fermeture du courant électrique, que nous déterminons aujourd’hui par les mots de secousse ou de commotion. Cette sensation a été évidemment connue de tout temps sur les bords de la Méditerranée par la torpille et en Égypte par le silure du Nil, aussi bien que par le gymnote en Amérique. Dès lors, on peut rechercher quelle idée les anciens se faisaient de la sensation électrique avant la fameuse expérience de Leyde (1749), et avant qu’Adanson eût identifié la secousse des poissons électriques à celle de la bouteille de Muschenbroeck ?

Malheureusement, le poème de Cléarque sur la torpille est perdu ; mais, depuis l’antiquité, les passages où il est parlé de la torpille et du silure abondent, et il est facile de se convaincre que jusqu’aux temps modernes, la sensation électrique a été très-généralement assimilée à l’impression du froid et désignée par les mêmes termes. Oppien, dans ses Halieutiques, dit que « le sang se glace », de celui qui touche la torpille (ἐϰ δὲ οἳ αἷμα πήγνυται) ; et plus loin : « La ligne échappe à la main du pêcheur tant est puissant le froid qui vient aussitôt l’engourdir, τοῖος γὰρ ϰρύσταλλος ἐνίζζεται αὐτιϰὰ. »

Dans l’édition de 1842-4846 du Thesaurus Græcæ linguæ, on trouve pour la première fois le mot ϰρύσταλλος indiqué avec le sens de tor-

  1. On pourrait alléguer des exemples contemporains du même fait. C’est ainsi qu’en breton, comme on s’en assure en interrogeant les gens, aussi bien que par des exemples tirés du dictionnaire de Grégoire de Rostrenen (édition de 1834), le même mot glas s’emploie pour désigner une étoffe ou un vêtement bleus, une pomme ou un pré verts, une barbe grise, un cheval gris-pommelé, etc.