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notre pensée. Il n’y a donc plus de place pour les idées métaphysiques dans le système de Kant ; mais, comme il veut les y introduire et les y maintenir coûte que coûte, il leur ouvre l’issue cachée du transcendantalisme, et c’est par cette porte mystérieuse qu’il les ramène au sein de la philosophie. Cette division de l’essence humaine et de toutes connaissances en deux parts : l’une empirique, l’autre transcendante, devient bientôt un précédent dangereux. Déjà les successeurs de Kant, ne discernant plus d’autres bases du savoir empirique que des formes à priori, se placent exclusivement du côté du transcendantalisme et cherchent dans la conscience humaine, à l’exemple des métaphysiciens d’autrefois, l’idée ou le fait le plus primitif dont on puisse déduire à priori tout le savoir et la conception générale du monde. C’est de cette manière que naquit la philosophie du moi d’un Fichte, plus tard celle de l’identité d’un Scheliing, et enfin la philosophie absolue de Hegel. Arrivée à ce point suprême, la spéculation à priori a prononcé son dernier mot et s’est transformée complètement en un dogmatisme philosophique. Sortie de cette prémisse, que ce qui se trouve dans notre esprit est l’essence même de l’être, elle a construit toute une conception absolue du monde et s’est posée elle-même, dans le système de Hegel, comme expression suprême de développement quelconque. Le progrès de la philosophie dans cette direction devint par cela même impossible ; l’histoire de l’école hégélienne nous donne une preuve suffisante.

Tandis que l’idéalisme transcendant célébrait ses triomphes dans toute l’Allemagne, la philosophie empirique n’était pas restée en arrière. Elle était parvenue aussi à embrasser le savoir humain dans un seul système et avait créé à son tour une doctrine définitive et absolue. L’expression suprême de cette tendance, qui a sa source dans le caractère même de l’époque, c’est la philosophie positive d’Auguste Comte. Ce dernier est pour la direction empirique ce que Hegel est pour la direction à priori : le terme définitif du développement. Comte élève son système avec les matériaux fournis par l’expérience, mais il le considère également comme le dernier mot du développement intellectuel de l’humanité. Au fond, il a le même but et le même caractère imposant que Hegel. Tous les deux se déclarent les fondateurs de religions nouvelles, et tous les deux appuient leur thèse absolue de motifs historiques. Aussi le sort de leurs systèmes dogmatiques, si différents en apparence, sera-t-il le même. Ils se montreront incapables de développement quelconque, et ils élèveront la philosophie à des hauteurs qu’elle devra abandonner bientôt, sous peine de renoncer au progrès et à