Le problème que n’a pu résoudre M. de Hartmann est-il susceptible d’être résolu ? C’est à l’avenir seul de répondre à cette question, mais il y a quelques raisons pour n’entretenir que les plus modestes espérances. En effet, si l’on admet avec nous que la morale est en même temps la plus élevée des spéculations et celle qui sert de critérium à toutes les autres, connaître le fondement de la morale, ce serait posséder aussi le fondement de toutes les autres sciences, le principe auquel sont « suspendus le ciel et la terre ». Mais ce principe, comme le disait Platon, est sans doute semblable au soleil ; des regards mortels n’en pourraient soutenir l’éclat ; le pourraient-ils, il plongerait les âmes dans une sorte de contemplation extatique où l’action disparaîtrait et avec elle la moralité.
Ainsi le bien existe, les hommes le pratiquent sans en connaître la raison ; quelque chose nous dit que chaque jour leur conscience s’épure et qu’ils déterminent avec plus de précision l’étendue et la nature de leurs devoirs. Mais la moralité même est un grand mystère, et, comme le silence, on la détruirait en la définissant. Et pourtant il n’est pas mauvais que des penseurs intrépides s’acharnent à chercher la clef de cette énigme insoluble et trouvent un public pour les écouter et les croire : cela même prouve la foi dans l’existence de la morale, et cette foi, c’est la moralité même.