Est-ce à dire que l’expression ne puisse se concilier avec la beauté ? que le sujet soit indifférent ? que les sentiments médiocres et bas ne le cèdent en rien à l’élévation d’une passion généreuse et forte ? Il ne manque pas d’artistes pour le soutenir ; mais c’est deux fois faux : c’est faux parce que, exprimé avec une égale puissance et une égale vérité, un caractère sympathique et grand nous charme plus qu’un caractère médiocre et vil ; c’est faux parce que par le choix du sujet l’artiste manifeste sa personnalité, témoigne de ses préférences, de ses émotions originales devant la réalité, de la supériorité de son intelligence et de la hauteur de ses sentiments.
Nous pensons nous aussi que les platoniciens ont tort, que la beauté, au sens ordinaire du mot, est une forme de l’art, qu’elle n’est pas l’art tout entier, que les théories doivent être faites d’après les œuvres, et non les œuvres d’après les théories. Le peintre Constable disait : « Je sais que l’exécution de mes peintures est singulière, mais j’aime cette règle de Sterne : « Ne prenez aucun souci des dogmes des écoles, et allez droit au cœur comme vous pourrez. » Nous voudrions pouvoir crier aux artistes : Vous êtes libres ;. sentez vivement, exprimez fortement ce que vous sentez, et laissez dire les philosophes et les prédicateurs. Apprenez beaucoup, travaillez patiemment, jusqu’à ce que le métier soit en vous comme un instinct, qu’on possède sans y penser ; puis oubliez tout ce que vous savez, les procédés de convention, les œuvres faites, tous les artifices ; ce n’est ni par les livres, ni dans les académies, qu’on devient musicien, peintre ou poète. Les morts sont bien morts ; nous ne sommes ni des Grecs ni des Italiens ; écoutez les voix qui parlent en vous, redevenez naïf », retrouvez les vives impressions des âmes enfantines, surtout soyez personnels, soyez sincères ; soyez hommes, vivez ; éprenez-vous de vos idées, de vos émotions, de vos sentiments ; aimez passionnément, aimez jusqu’à l’hallucination, jusqu’à ce que l’objet de votre amour, évoqué par la puissance de votre volonté, s’anime en vous, jusqu’à ce qu’il devienne vous-même, plus encore jusqu’à ce qu’il vive assez pour vouloir une vie indépendante, pour s’échapper de vous et se créer un corps de formes ou de sons, de marbre, de couleur ou de pierre. Et il ne s’agit pas ici de la passion fiévreuse, capricieuse, emportée, qui s’épuise par ses propres orages : l’amour créateur de l’artiste, du peintre, du poète ou du philosophe, a ses élans, ses heures d’inspiration et d’enthousiasme ; c’est avant tout la possession continue de l’idée, la volonté tenace, inflexible, implacable de la réaliser.
Nous pouvons répéter ici ce que nous avons dit déjà : tout ce que l’auteur sait du beau dans l’art, il le doit à l’observation psycholo-