nature par une sensibilité plus exquise qui reproduit toutes les nuances, toutes les finesses d’une sensation délicate, harmonieuse et sans brutalité. En présence de l’œuvre achevée, cette sensation devient nôtre ; nous voyons pour ainsi dire avec l’œil de l’artiste, et nous jouissons de sa puissance de percevoir. Le plaisir naît ainsi d’une activité qui exerce toutes les forces de l’organe de la vision sans les épuiser. La science ne nous apprend-elle rien de la beauté ? « L’imitation exacte de la nature dans un beau tableau, dit M. Helmholtz, est une reproduction perfectionnée de la nature ; un tel tableau rend tout ce qu’il y a d’essentiel dans l’impression et nous permet de contempler l’objet sans blesser et sans fatiguer l’œil par les couleurs trop éclatantes de la réalité. » Qu’est-ce à dire ? sinon que cette beauté purement physique est une image de la nature plus conforme aux lois de notre sensibilité. Et, si nous cherchons quelles sont ces lois, nous trouvons que l’uniformité fatigue en exerçant un seul ordre de fibres nerveuses, qu’une variété trop grande nous impose des efforts successifs qui dispersent nos forces jusqu’à les épuiser, que seule l’harmonie, qui exerce toutes les forces par la variété de ses éléments, mais concentre leur action par l’unité qu’elle met entre eux, produit en nous la jouissance encore physique qui naît de la seule contemplation des formes et des couleurs.
Jusqu’où la science nous permet-elle d’aller ? Elle nous dit ce qu’est l’œil, ce qu’est la lumière ; elle cherche à expliquer le plaisir de l’organe par sa structure ; mais elle ne donne au philosophe que des renseignements qu’il lui appartient d’interpréter. L’originalité de l’exécution n’est-elle qu’une originalité physiologique ? Ce génie de l’œil et de la main n’est-il pas une première forme du tempérament de l’artiste, de sa personnalité morale, de son génie créateur ? Le plaisir physique ne prépare-t-il pas ainsi le plaisir intellectuel ? Le langage n’annonce-t-il pas l’idée ? Autant de questions sur les éléments matériels de l’art, insolubles par la science positive, qui reste muette sur les pensées et les sentiments, la physiologie cérébrale ne sachant encore rien du jeu des cellules nerveuses qui répond à la naissance de ces phénomènes intellectuels et étant condamnée, selon toute apparence, à l’ignorer toujours.
II
L’œuvre de M. Eugène Véron continue l’œuvre de M. Brücke. Supprimant toute psychologie, il prétend étudier la beauté scientifiquement, comme on étudie la chaleur ou l’électricité, par une obser-