aussi de la difficulté vaincue, peut lui faire oublier parfois, qu’un tableau n’est pas vu comme la réalité, que toutes les puissances de l’art ne sont que d’humbles réductions des puissances de la nature, et que ce n’est pas trop de toutes les ressources d’une traduction ingénieuse pour rendre la vigoureuse expression de l’original. On ne résiste pas à une vérité comprise. Avoir mesuré ses forces est une bonne condition pour agir. Ce rappel à la modestie par la raison évitera la recherche de l’absolu, les séductions de l’impossible, l’espérance chimérique d’égaler avec des couleurs ternes, sans le secours des contrastes, l’intensité de la pleine lumière, l’éclat des tons sous l’ardeur d’un soleil brûlant ; cette irrésistible ironie des calculs du savant, cette ironie brutale du chiffre, avertira peut-être plus d’un artiste que se moquer des vieux procédés et des vieux maîtres porte malheur, que le clair obscur n’a pas fini son temps, parce que le modelé est la condition de la bonne peinture ; peut-être enfin nous épargnera-t-elle les efforts stériles, les échecs désastreux, les toiles grisâtres et sales, assombries par le souvenir du vrai soleil, qui sortent des tentatives d’éblouissement. Que le peintre n’essaye donc pas de faire de la peinture scientifique, froidement et d’après les règles ; mais qu’il écoute les savants, que les vérités découvertes par eux fassent comme partie de son esprit, et qu’il travaille sans plus y songer, qu’il s’abandonne à une inspiration instinctivement docile aux lois nécessaires.
Le philosophe étudie la beauté dans ses rapports avec la nature de l’homme ; il cherche par quelle activité créatrice le génie la réalise, par quels caractères se distingue de tous les autres plaisirs la jouissance qu’elle donne ; il se demande enfin quelle est l’origine de la beauté, qui elle est, si elle vient du ciel avec mission d’exprimer une idée divine, ou si elle est née dans la nature d’un hasard heureux, dans l’art d’un besoin d’activité plus libre et plus harmonieuse. Celui qui connaît la beauté autrement que par les livres, pour l’avoir sentie, pour l’avoir aimée, n’aura jamais l’idée de la chercher dans l’invisible, avec le dédain du corps, qui est son expression nécessaire. Qu’est-ce que la science qui étudie cette forme matérielle peut apprendre au philosophe ? Ce qu’elle nous apprend d’abord, c’est que, dans cette création du corps de la beauté, l’artiste met déjà l’empreinte de sa personnalité. On ne peint pas les objets extérieurs ; on peint ses sensations, ce qu’on découvre en soi : or cette image intérieure, qui est le modèle imité, prend quelque chose de l’esprit dans lequel elle s’est formée. Il y a des yeux de génie. Sur le plaisir encore physique, qui naît des couleurs et des sons, la science nous dit que l’imitation artistique est la traduction de la