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analyses.spir. Denken und Wirklichkeit.

que nous prenons pour des corps n’est pas autre chose que des sensations ; 2" les corps sont, quant à leur conception, des êtres absolus, inconditionnés ; 3° le non-moi n’est pas équivalent au monde extérieur.

La première de ces propositions, qui résume l’idéalisme de Berkeley, est aujourd’hui susceptible d’une démonstration scientifique. Sans parler des rêves, des hallucinations, qui autorisaient le doute méthodique de Descartes, la physiologie démontre que nos sensations sont entièrement distinctes des choses réelles extérieures, ne leur ressemblent en rien et n’ont avec elles aucune relation commensurable. Ce que nous prenons pour des corps se compose donc de nos propres sensations, et les faits de conscience resteraient ce qu’ils sont, alors même qu’il n’existerait aucune chose réelle hors de nous, et nous n’avons pas à nous occuper, dans nos recherches, d’une existence qui n’intéresse en rien les résultats à attendre, qui n’est absolument pas du domaine de l’expérience.

Si l’on entend par l’expression d’être absolu, inconditionné, un objet qui, au point de vue de son existence et de son essence, ne dépend d’aucun autre, les corps sont des êtres absolus. Les corps en effet pourraient dépendre ou d’une cause extérieure du monde, ou du sujet connaissant, ou les uns des autres par une action réciproque.

Ceux qui se plaisent aux hypothèses théologiques admettront seuls la première supposition ; mais la notion du monde extérieur n’a aucun des caractères d’une notion dérivée. Du moment où je perçois comme des corps mes sensations, je les fais reposer, par la pensée, sur un substratum qui établit leur existence indépendante, et donner à cette base une base nouvelle n’aurait pas de sens.

Quant à la seconde supposition, sans doute le contenu donné, les matériaux, c’est-à-dire les sensations que nous prenons pour des corps, n’existent pas indépendamment du sujet percevant ; mais, en reconnaissant ce contenu comme un monde de corps, nous le reconnaissons comme indépendant de la perception, de l’expérience de tout sujet vivant.

Enfin les corps sont indépendants, quant à leur notion, les uns des autres, parce qu’ils sont séparés dans l’espace. Nous pouvons, par la pensée, les supprimer tous, sauf celui que nous considérons.

Reste la troisième proposition:le non-moi n’est pas équivalent au monde extérieur. C’est un fait constaté qu’il y a en nous un contenu étranger à notre essence subjective, à notre moi. C’est là un non-moi véritable; nous ne pouvons cependant pas assurer qu’il nous soit venu de l’extérieur. Notre moi a commencé, et il se peut fort bien que dès l’origine il se soit mêlé à son essence quelque chose d’étranger qui continue de coexister avec lui pendant toute sa durée. C’est là peut-être non pas une cause, une raison extérieure actuelle, mais bien une condition nécessaire de son existence. Un tel non-moi est le contenu de toutes les sensations fournies par les sens, et nous les appelons objectives, pour les distinguer de la peine et du plaisir. Ce n’est pas