Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment perverti leur pensée dans un but de plaisir, qu’ils paraissent fâchés en songeant que les questions sur lesquelles ils aiment à exercer la finesse de leur esprit, peuvent finir par être résolues. Une découverte positive qui met hors des débats littéraires un de leurs sujets favoris de discussion, rencontre chez eux un mauvais vouloir mal déguisé. Une pareille tendance est une véritable débauche d’esprit. Mais la pensée, dans son essence et dans son but, abstraction faite de ses autres éléments, même lorsqu’elle est volontairement faussée, ne peut jamais tendre vers autre chose que la production de la croyance. La pensée en activité ne poursuit d’autre but que le repos de la pensée ; tout ce qui ne touche point à la croyance ne fait point partie de la pensée proprement dite.

Qu’est-ce donc que la croyance ? C’est la demi-cadence qui clôt une phrase musicale dans la symphonie de notre vie intellectuelle. Nous avons vu qu’elle a juste trois propriétés. D’abord elle est quelque chose dont nous avons connaissance ; puis elle apaise l’irritation causée par le doute ; enfin elle implique l’établissement dans notre esprit d’une règle de conduite, ou, pour parler plus brièvement, d’une habitude.

Puisqu’elle apaise l’irritation du doute qui excite à l’action, elle détend l’esprit qui se repose pour un moment lorsqu’il a atteint la croyance. Mais la croyance étant une règle d’action, dont l’application implique un nouveau doute et une réflexion nouvelle, en même temps qu’elle est un point de repos, elle est aussi un nouveau point de départ. C’est pourquoi j’ai cru pouvoir appeler l’état de croyance la pensée au repos, bien que la pensée soit essentiellement une action. Le résultat final de la pensée est l’exercice de la volonté, fait auquel n’appartient plus la pensée. La croyance n’est qu’un moment d’arrêt dans notre activité intellectuelle, un effet produit sur notre être par la pensée et qui influe sur la pensée future.

La marque essentielle de la croyance est l’établissement d’une habitude, et les différentes espèces de croyance se distinguent par les divers modes d’action qu’elles produisent. Si les croyances ne diffèrent point sous ce rapport, si elles mettent fin au même doute en créant la même règle d’action, de simples différences dans la façon de les percevoir ne suffisent pas pour en faire des croyances différentes, pas plus que jouer un air avec différentes clefs n’est jouer des airs différents. On établit souvent des distinctions imaginaires entre des croyances qui ne diffèrent que par la façon dont elles sont exprimées. Les dissensions qui naissent de là sont toutefois fort réelles. Croire que des objets sont disposés comme dans la figure 1, et croire qu’ils le sont comme dans la figure 2, c’est croire une seule et même