de la philosophie critique. Kant se plaisait souvent lui-même à reconnaître l’action durable et décisive que les maîtres de son enfance et de sa jeunesse, que les premiers éducateurs de son intelligence et de son cœur avaient exercée sur lui. Nous nous demanderons, avec Benno Erdmann, s’il ne faut voir dans ces témoignages de sa maturité et de sa vieillesse qu’une pieuse illusion de l’âge et de la reconnaissance, ou si Schultz et Knutzen n’ont pas laissé une empreinte, plus profonde encore que Kant ne le savait lui-même, dans son âme et ses écrits. Il n’est pas besoin de démontrer que Kant doit beaucoup à Wolf, à Newton, à Hume et à Rousseau : ses aveux explicites et répétés suffisent à le prouver. Mais il est plus intéressant et plus difficile de déterminer exactement la nature et l’étendue de ces influences. Nous essayerons de le faire à l’aide des travaux de Paulsen, de Riehl et de Dieterich et des dernières publications de Benno Erdmann. Le zèle et la science de ces commentateurs ou historiens n’a pas médiocrement avancé la solution du problème.
I.
ALBERT SCHULTZ
Le premier maître de Kant est véritablement Franz Albert Schultz. Tout enfant, la pieuse vénération que ses parents professaient pour Schultz et la docilité confiante qu’ils lui témoignaient dans toutes les circonstances durent émouvoir profondément son esprit et son cœur. Un rôle considérable dans l’État, dans l’Église, dans l’Université, dans la Cité ; le prestige de la science, de l’éloquence, des vertus, tout ce qui peut agir sur une jeune et généreuse imagination se trouvait réuni dans la personne de Schultz.
Arrivé en 1731, comme pasteur, à Kœnigsberg, à l’âge de 39 ans (Kant n’en avait alors que 7), Schultz fut successivement et dans l’espace de quatre années nommé professeur de théologie et membre du sénat de l’Université ; chargé de la direction du Collegium Fridericianum ; promu enfin à la dignité de conseiller ecclésiastique et d’inspecteur général des Églises, des écoles et des hospices du royaume de Prusse. Le roi Frédéric-Guillaume Ier l’honorait de son amitié, et, comme le dit Borowski, sa parole était toute-puissante auprès du souverain.
Comme pasteur, Schultz associait l’intelligence pratique au don de la parole et à l’autorité du caractère. Habile à diriger non moins qu’à émouvoir les consciences, il avait précédemment déployé avec succès, en qualité d’aumônier militaire, ses talents de réformateur des mœurs et de la piété. L’homme qui avait su faire violence aux