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fort important, dédaigné par ceux-là seuls qui en ont besoin. Connaître ses idées, savoir bien ce qu’on veut dire, c’est là un solide point de départ pour penser avec largeur et gravité. C’est un art qu’apprennent très-facilement les esprits à conceptions sèches et restreintes, bien plus heureux que ceux qui se débattent désespérément dans un chaos touffu d’idées. Un peuple peut, il est vrai, dans une longue suite de générations, remédier aux inconvénients d’une excessive richesse de langue et à son accompagnement naturel, une vaste et insondable profondeur d’idées. On peut le voir dans l’histoire perfectionner lentement ses formes littéraires, débrouillant à la longue sa métaphysique, et grâce à une infatigable patience, qu’il a souvent comme dédommagement, atteignant un haut degré dans tous les genres de culture intellectuelle. L’histoire n’a pas encore déroulé les pages qui nous diront si, dans la suite des temps, un tel peuple l’emportera sur un autre peuple ayant les idées qu’il a. Toutefois, on ne peut douter que pour l’individu quelques idées claires vaillent mieux qu’un grand nombre d’idées confuses. On persuaderait difficilement à un jeune homme de sacrifier la plus grande partie de ses idées pour savoir le reste, et une tête encombrée est moins apte que toute autre à sentir la nécessité de ce sacrifice. Le plus souvent, un esprit de cette trempe est à plaindre, comme l’est une personne affligée d’un défaut constitutionnel. Le temps viendra à son secours ; mais, sous le rapport de la clarté des idées, il ne sera mûr qu’assez tard. C’est une fâcheuse loi de la nature, car la clarté des idées est moins utile à l’homme avancé dans la vie et dont les erreurs ont en grande partie produit leur effet, qu’elle ne le serait à l’homme au début de sa carrière. C’est chose terrible à voir, comment une seule idée confuse, une simple formule sans signification, couvant dans une jeune tête, peut quelquefois, comme une substance inerte obstruant une artère, arrêter l’alimentation cérébrale et condamner la victime à dépérir dans la plénitude de son intelligence, au sein de l’abondance intellectuelle. Plus d’un a durant des années caressé avec tendresse quelque vague semblant d’idée, trop dépourvue de sens pour être fausse. Malgré cela, il l’a passionnément aimée et en a fait la compagne de ses jours et de ses nuits ; il lui a consacré ses forces et sa vie, il a pour elle mis de côté toute autre préoccupation, il a en un mot vécu pour elle et par elle, tant qu’enfin elle devienne l’os de ses os et la chair de sa chair. Puis, un beau matin, il s’est réveillé et ne l’a plus trouvée, elle s’était évanouie dans l’air comme Mélusine, la belle fée, et toute sa vie s’était envolée avec elle. J’ai connu moi-même un de ces hommes. Qui pourrait compter tous les quadrateurs de cercle, métaphysiciens, astrologues, que