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espinas. — philosophie expérimentale en italie

tinue dans l’esprit, comme le mouvement qui va de l’un à l’autre[1].

Ainsi la matière et la force, ou l’espace et le temps, distinctions fondamentales opérées par l’esprit sur un même champ indistinct, distinctions sur lesquelles peuvent se décrire une multitude d’autres distinctions à l’infini, voilà tout l’être, et voilà toute la pensée. Ces deux modes premiers de l’existence sont inséparables. Il est absurde d’imaginer, comme l’ont fait les anciens, une matière nue, simple possibilité d’existence, sur laquelle ne s’exerce aucune force et qui soit réduite à l’extension. Cela suppose qu’à un moment la force est ajoutée par accident ou par miracle à la matière inerte, hypothèse insoutenable. Dans chaque point de la matière, il y a à tout instant des forces en direction et en grandeur déterminées. Il est également absurde d’imaginer la force sans un point d’application qui la définisse. Mais ce n’est pas une raison pour croire que l’on peut déduire, comme l’ont fait Spencer et Bence Jones, la matière de la force ou la force de la matière. L’une n’est pas primitive par rapport à l’autre. Toutes deux dérivent, comme on l’a dit, d’un même indistinct, ou continu, en qui elles ont leur liaison, et qui est infini, parce qu’il est le champ même où peuvent s’opérer sans limite toutes les distinctions ultérieures.

« Or si, comme on l’a démontré précédemment, le distinct de la matière implique le continu dans la coexistence ou dans l’espace, et le distinct de la force, le continu dans la succession ou dans le temps, et si, dans la réalité, la matière et la force coïncident, il en résulte qu’un réel quelconque se trouvera à la fois et sur le continu de l’espace et sur celui du temps, et pourra être représenté par un point d’intersection de deux lignes qui se rencontrent. Mettons l’une, représentant le premier de ces continus, dans le sens de la largeur de cette feuille ; mettons l’autre, qui représente le second, dans le sens de la longueur. Je dis que ces deux lignes se prolongent indéfiniment. » Toute la nature dans son évolution passée concourt donc à expliquer l’état d’un point quelconque de la matière à un moment donné. C’est en cela que consiste le caractère naturel (naturalità) d’un fait. C’est cela qui fait son individualité par rapport à tous les autres et lui communique une raison ou une cause suffisante. Si un fait n’est point tel qu’il puisse figurer au sommet d’un angle ayant ces deux lignes pour côtés, il n’est point réel, il n’y a point de place pour lui dans la

  1. Il serait nécessaire, pour bien comprendre cette doctrine, de la rapprocher de la théorie de l’extériorité présentée par Ardigò, dans sa Psychologie. Le moi et le non-moi sont deux distincts qui se dégagent simultanément d’un indistinct antérieur où le sujet et l’objet sont confondus. Cf. la Revue philosophique, vol. iii, p. 534.