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rement que ces phénomènes ne peuvent être expliqués d’une autre manière, alors le principe du mouvement de la terre autour de son axe et autour du soleil devient une vérité scientifique absolue.

Cette manière d’envisager les choses ne nous permet pas de poser l’expérience a posteriori comme une barrière infranchissable pour les recherches scientifiques. Afin de nous mieux expliquer et de transporter la question sur le terrain de la philosophie, nous nous permettrons d’adresser encore une demande à notre auteur. Peut-on constater au moyen de l’expérience immédiate cette vérité philosophique la plus importante de toutes : l’existence en général des choses, l’existence d’un objet indépendant de notre pensée ? — Je devine la réponse que j’en obtiendrais si j’avais l’honneur de lui adresser personnellement ma demande. Il se contenterait probablement de frapper la table du poing en disant : Voici la preuve que l’objet existe. « Pardon, lui répliquerais-je alors, tous les phénomènes de sensation et de sentiment sont purement intérieurs. La sensation de la douleur, produite par votre coup de poing, et celle de la résistance, sont des phénomènes intérieurs ; la sensation de bruit dans mes oreilles, et le spectacle de votre main frappant cette table, sont encore deux sensations tout aussi intérieures que les vôtres. Il se peut donc que leurs causes le soient également et que Berkeley ait raison. Mais un raisonnement semblable ne nous mènerait pas loin. Posons donc la question d’une autre manière. Sensations, sentiments, impressions, tout cela sont des faits intérieurs réels et immédiatement évidents. Or, si la philosophie vraiment scientifique parvient à nous prouver que l’existence de ces faits évidents serait impossible sans celle d’un objet indépendant du sujet, alors l’existence de l’objet deviendra parfaitement claire et sera une vérité absolue, quoiqu’il n’y a pas d’expérience immédiate qui puisse franchir la sphère des phénomènes, comme faits primitivement intérieurs, et se convaincre de l’existence d’un objet indépendant des sensations subjectives. De cette manière, les vérités purement métaphysiques, en apparence, pourront même revêtir un caractère infiniment plus exact que les vérités soi-disant positives. Il est temps déjà de comprendre, à l’aide de la physiologie des sens, la signification véritable de cette expérience a posteriori et se défaire une fois pour toutes de cette croyance aveugle en sa valeur absolue. Si même nous acceptions la différence marquée par l’auteur entre la conception et le savoir, nous serions forcés de la définir autrement. Nous devrions appeler conception cette phase intellectuelle, dans laquelle l’esprit, cherchant le moyen d’éclaircir un phénomène, reconnaît pour cause du phénomène celle qui en est la moins éloignée et qui, à l’état intellectuel où il se trouve, lui est la plus accessible de toutes[1].

  1. Il y a certains degrés de développement intellectuel où les vérités les plus abstraites sont plus accessibles à l’esprit que les vérités positives ; pour la philosophie scolastique par exemple, la théorie des attributs de Dieu était infiniment plus intelligible que celle du mouvement de la terre autour du soleil.