gle[1]. Dès les premiers temps de son séjour à l’asile, Laura distinguait les personnes avec une promptitude remarquable.
« Il y en avait une quarantaine qui habitaient l’aile des femmes ; Laura les connaissaient toutes. Dès que quelqu’un passait dans les couloirs, elle s’apercevait par l’ébranlement du plancher ou l’agitation de l’air qu’on s’approchait d’elle, et il était très-difficile de passer sans être reconnu. Ses petits bras s’étendaient, et dès qu’elle avait saisi une main, une manche, un bout de vêtement, elle reconnaissait la personne et lui en donnait des preuves… Ses doigts, qui sont pour elle des yeux, des oreilles et un nez, sont toujours en mouvement, perpétuellement agités, comme les antennes de certains insectes…
« Son appréciation des distances et des positions est très-exacte. Elle se lève de son siége, va droit à la porte, étend sa main au moment voulu et saisit le loquet avec précision. S’il lui arrive de se heurter contre une porte fermée qu’elle s’attend à trouver ouverte, elle ne s’irrite pas, mais se gratte la tête en riant, comme si elle avait conscience de la situation risible où elle se trouve. L’exercice continuel et infatigable de ses mains lui donne une connaissance très-exacte de tout ce qu’il y a dans la maison : pas un nouvel objet, même un livre, ne peut se trouver dans les appartements qu’elle fréquente, sans qu’elle s’en aperçoive. » (P. 25-27.)
Dans son dixième rapport, publié deux ans plus tard (1841), le Dr Howe donne de nouveaux détails sur cette question de la distance et de la position des objets. Plusieurs n’ajoutent rien à ce qui précède, mais en voici qui valent la peine d’être notés :
« J’ai dit qu’elle mesure les distances très-exactement, et elle semble le faire à l’aide de ce que Th. Brown appelle le sixième sens, c’est-à-dire la contraction musculaire…
« J’ai souvent essayé de déterminer de quelle manière elle estime la distance, la longueur, etc., en lui mettant dans la main des corps polis ou rugueux que je tirais à moi. Si, par exemple, on lui met dans la main une canne et qu’on la tire, elle dit qu’elle est longue ou courte, en quelque façon, selon que le mouvement a été plus ou moins rapide, c’est à-dire selon la durée de l’impression ; mais j’incline à croire qu’elle a quelque idée de la rapidité du mouvement, même pour les corps très-polis, et que cela lui sert à modifier son jugement. » (P. 87, 88.)
Ce passage, que nous avons traduit littéralement[2], est intéressant. Il s’accorde avec l’observation de Platner dont nous avons parlé ici même[3], et avec la thèse soutenue par Stuart Mill et d’autres que, pour les aveugles-nés, le temps tient lieu d’espace. Il est regrettable que le Dr Howe ne soit pas plus explicite sur ce point et surtout qu’il n’ait pas institué