timents qui y correspondent n’étaient devenus instinctifs ; en un mot, si nous n’étions pas devenus des êtres organiquement moraux, il est certain que la suppression des motifs énergiques et précis édictés par la croyance reçue serait suivie de résultats désastreux[1]. »
Ces pages de M. Spencer renferment l’idée maîtresse qui doit dominer son nouvel ouvrage, les Principes de morale. Sa théorie originale a eu un grand retentissement en Angleterre, un moindre en France ; elle a donné lieu des deux côtés de la Manche à de nombreuses objections. Nous voudrions ici, d’une part la défendre contre quelques-unes de ces objections trop superficielles, d’autre part indiquer ce qu’elle nous semble à nous-même avoir d’exagéré, et rechercher très-succinctement le vrai rôle que joue l’hérédité dans la formation du caractère moral.
On a objecté bien souvent à M. Spencer que jamais les expériences d’utilité personnelle ne pourront fournir rien qui ressemble à un sentiment impersonnel, comme le sentiment de la justice, de l’amour d’autrui, etc. Cette objection roule sur une confusion dans les termes mêmes. Lorsque M. Spencer parle des « expériences d’utilité organisées à travers les générations humaines », il s’agit évidemment de l’utilité générale comme de l’utilité personnelle. Les « expériences » et les « généralisations » de nos ancêtres portaient non moins sur l’intérêt de leur famille ou de leur tribu que sur leur intérêt propre. Dès l’origine de l’humanité se sont formés quelques sentiments altruistes, et c’est pour cela que nous retrouvons ces sentiments grossis à l’infini dans la société actuelle. Il ne faut pas (comme par exemple semble le faire M. Husson[2]) prêter à M. Spencer la pure doctrine de Bentham.
Des objections d’un autre ordre à la théorie de M. Spencer ne nous semblent pas non plus porter juste. Dans cette théorie, dit M. Darwin (dont l’opinion diffère d’ailleurs assez peu de celle de M. Spencer), une foule de coutumes invétérées devraient devenir héréditaires, par exemple l’habitude des femmes musulmanes de sortir voilées, ou encore l’horreur des juifs et des musulmans pour les viandes impures. On peut répondre que ces coutumes bizarres et souvent contre nature (car les femmes ont toujours aimé à montrer leur visage, et la viande de porc n’est pas moins appétissante que les autres), ces coutumes, dis-je, ne peuvent pas laisser de traces bien profondes dans l’esprit, et ces traces, si elles existaient, s’effaceraient rapidement dans un autre milieu. Entre les diverses tendances que nous lègue l’hérédité, il se produit une lutte pour la vie, ana-