au fond des choses, on s’assurera que l’existence d’un appareil digestif plus ou moins compliqué est indifférente à l’acte essentiel, ultime de la digestion. Cet apparent paradoxe est une pure vérité. L’animal ne digère point par la raison qu’il possède un appareil masticateur plus ou moins compliqué, un tube intestinal plus ou moins développé, un système nerveux qui préside aux sécrétions : il y a en effet des espèces dépourvues de dents et des annexes digestives, et dans une même espèce, telle que les rotifères, des mâles dépourvus de tube intestinal, tandis que les femelles le possèdent. Mais la meilleure preuve que toute cette machine digestive n’est pas nécessaire, c’est que le physiologiste peut réaliser en dehors de l’organisme, dans une éprouvette à expérience, au moyen de quelques poudres desséchées, nommées pepsine, trypsine, diastase, ferments inversif et émulsif, précisément les mêmes phénomènes de digestion qui s’accomplissent dans l’appareil intestinal de l’animal le mieux pourvu à cet égard. C’est que tous ces actes, en dépit de leurs variétés infinies dans l’exécution, se réduisent à une transformation chimique d’une substance alimentaire. Toute substance qui doit contribuer à la réparation matérielle d’un organisme, qui doit participer au mouvement nutritif, doit être mise dans un état convenable : cette préparation, c’est la digestion. La digestion est ainsi le prologue de la nutrition. Son terme est atteint lorsque la matière réparatrice, aliment ou réserve, prise au dehors ou puisée dans les entrepôts intérieurs, est mise en état, à la suite d’une transformation chimique, d’être utilisée par les éléments anatomiques de l’organisme. Or, et c’est là une première analogie, ces matériaux sont les mêmes, qu’il s’agisse de la plante ou de l’animal. Ils forment quatre classes : substances albuminoïdes, féculentes, grasses et sucrées. L’animal les prend au dehors ou en lui-même : la fécule par exemple est demandée par l’homme aux mets farineux que l’on sert sur nos tables ; elle peut être empruntée tout aussi bien et pour le même usage à la réserve de fécule que l’homme porte en lui-même dans son foie qui est en effet un véritable grenier d’abondance bondé de matière féculente. Chez les végétaux, les choses sont de même. La pomme de terre a sa provision de fécule dans son tubercule, comme l’animal dans son foie ; la graine qui va germer l’a en réserve dans ses cotylédons ou dans son albumen ; le bourgeon qui va se développer en bois ou en fleurs la porte à sa base. — La même chose est vraie pour la seconde classe de substances, les substances sucrées, qui peuvent être un aliment pris au dehors ou une réserve entreposée dans les tissus. L’animal prend au dehors, dans les fruits, par exemple, le sucre ordinaire qui flatte son goût ; la betterave, au moment de fleurir ou de
Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/308
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
revue philosophique