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naville. — la physique et la morale

comme possible, comme probable peut-être, mais qui n’est point une loi constatée. Je ne présente pas cette remarque sous l’influence d’une doctrine personnelle. J’incline à penser que la science est dans la bonne voie quand elle cherche l’explication physique de l’affinité et qu’elle s’efforce de ramener la gravitation à un phénomène d’impulsion ; mais il importe de ne jamais prendre les anticipations de la pensée pour des vérités établies.

Supposons que le but que je viens d’indiquer soit atteint, et en particulier que la gravitation ait été ramenée à un phénomène d’impulsion ; serait-il permis de dire que toute force est un mouvement ? Non. Lorsqu’un corps se meut et en rencontre un autre, son mouvement se trouve modifié. Il y a donc dans ce phénomène la manifestation d’une cause de modification du mouvement, c’est-à-dire d’une force. Quel est le sujet de cette force ? Le corps qui a été rencontré, et qu’on peut supposer dans un repos relatif, aura subi une modification. Je fais abstraction de cette partie du phénomène pour considérer seulement la modification éprouvée par le corps rencontrant. Les corps n’ont aucun pouvoir de modifier leur propre mouvement ; c’est l’expression de la loi d’inertie ; ils ne sont pas des forces quant à eux-mêmes, mais ils sont des forces à l’égard des autres corps par les modifications du mouvement dont ils sont l’origine. Ainsi que l’a remarqué Euler, c’est la résistance de la matière qui est « la véritable source des changements que nous observons dans le mouvement de tous les corps[1] ». En fait, tout corps se meut ; mais ce n’est pas en tant qu’il se meut qu’un corps à l’état de repos relatif dans un système modifie le mouvement des autres corps, c’est en tant qu’il résiste. Le troisième des principes de la dynamique est que « l’effet produit par une force sur un point matériel est indépendant du mouvement antérieurement acquis par ce point[2] ». Il résulte de ce principe que lorsque deux corps, étant par exemple l’un et l’autre sur le pont d’un navire, ont le même mouvement, l’action exercée par la résistance de l’un sur le mouvement particulier imprimé à un autre est la même que si leur mouvement commun était supprimé.

La matière est donc force par sa résistance, mais elle n’est pas force impulsive. L’oubli de cette distinction essentielle peut jeter la pensée dans des erreurs graves. C’est ce qui arrive lorsque, confondant la force de résistance et la force d’impulsion, on proclame l’identité des deux idées de la force et de la matière. La matière n’est déterminable pour nous que par la résistance en vertu de laquelle les corps occupent une portion déterminée de l’espace ; cette résis-

  1. Lettres à une princesse d’Allemagne, partie ii, lettre ii.
  2. Delaunay, Traité de mécanique rationnelle, § 89.