moraliste oserait affirmer, c’est que, dans les mêmes circonstances, l’honnêteté est la meilleure des politiques, et qu’avec des avantages égaux un honnête homme a, chose bien souvent contestable, plus de chances de réussir qu’un coquin ; mais rien n’est moins sûr. On ne saurait prétendre que l’honnêteté, comme moyen de succès, a plus d’influence que l’avantage d’un seul degré dans la hiérarchie sociale. Tout ce qu’on peut dire quand on veut comparer le succès avec la conduite, c’est surtout qu’il y a un certain degré de mauvaise conduite, ou plutôt certains genres de mauvaise conduite, qui suffisent seuls à renverser n’importe quel ensemble de circonstances favorables. Mais la réciproque n’est pas vraie. Dans la situation où se trouvent la plupart des gens, il n’y a pas de conduite, si bonne qu’elle soit, sur laquelle ils puissent compter pour s’élever dans le monde, s’ils ne trouvent en même temps un concours de circonstances heureuses.
L’extrême pauvreté, et la pauvreté très-peu méritée, voilà le premier résultat considérable de l’insuccès des arrangements sociaux existants. Le second est la mauvaise conduite de l’homme : le crime, le vice, les folies, et toutes les souffrances qui marchent à leur suite. En effet, presque tous les genres de mauvaise conduite, soit envers nous-même, soit envers autrui, peuvent se ramener à l’une de ces trois causes : chez le grand nombre, la pauvreté et les tentations qui l’assiègent ; chez le petit nombre, chez ceux que leur fortune dispense de l’obligation du travail, l’oisiveté et le désœuvrement ; chez les uns comme chez les autres, une mauvaise éducation ou le manque d’éducation. Il faut convenir que les deux premières causes sont au moins l’effet de l’insuffisance des arrangements sociaux. On reconnaît à peu près universellement que la dernière leur est imputable ; on peut les appeler le crime de la société. Je parle en gros et sans rien préciser, car une analyse plus détaillée des causes qui produisent les défauts de caractère et les erreurs de conduite prouverait d’une façon plus décisive encore la filiation qui les rattache à une organisation défectueuse de la société, tout en révélant en même temps le lien de dépendance réciproque qui rattache cet état social vicieux à un état arriéré de l’esprit humain.
Quand ils avaient ainsi énuméré les maux de la société, les niveleurs purs du temps passé s’arrêtaient ; leurs successeurs, dont la vue porte plus loin, les socialistes d’aujourd’hui, vont au delà. À leurs yeux, la base même des relations humaines, le principe sur lequel roule actuellement la production et la répartition des produits matériels est essentiellement vicieux et antisocial. Ce principe est l’individualisme, la concurrence : chacun pour soi et