Le suffrage universel règne dans le grand pays dont nous sommes séparés par l’Atlantique, qui est maintenant presque le plus puissant du monde et qui ne tardera pas à le devenir sans conteste. C’est cette institution qui caractérise le régime politique de la France depuis 1848 ; elle s’est établie dans la Confédération germanique, sinon dans tous les États qui la composent. Dans la Grande-Bretagne, le droit de vote n’est pas encore aussi largement concédé ; mais le dernier bill de réforme a admis dans l’enceinte de la constitution un si grand nombre de gens vivant de salaires hebdomadaires, que dès qu’ils voudront agir de concert d’après les intérêts de leur classe, et employer en vue d’un but commun toute la force électorale que les institutions anglaises leur accordent, ils exerceront une action puissante sur la législation, s’ils n’acquièrent pas une prépondérance absolue. Or, ils appartiennent à cette classe qui, au dire des classes supérieures, n’a aucun intérêt dans les affaires du pays. En réalité, ils en ont un très-grand, puisque leur pain quotidien dépend de la prospérité nationale. Mais ils ne sont pas entraînés, nous allions dire subornés, par un intérêt propre à leur classe, au point de se faire les défenseurs de la propriété telle qu’elle existe, et moins encore à défendre l’inégalité de la distribution de la propriété. Quelle que soit aujourd’hui la puissance des ouvriers, à quelque point qu’elle parvienne dans l’avenir, s’ils donnent leur appui aux lois sur la propriété, ce sera pour des raisons d’intérêt public, parce que ces lois leur paraîtront de nature à assurer le bien-être général ; ce ne sera plus l’intérêt personnel des hommes au pouvoir qui en dictera les prescriptions.
Il me semble que la grandeur de ce changement n’a pas été jusqu’à présent complètement comprise, ni par les adversaires de notre dernière réforme constitutionnelle, ni par ceux qui l’ont réalisée. À vrai dire, la perspicacité des Anglais, quant aux conséquences des changements politiques, s’est depuis quelque temps passablement affaiblie. À force d’avoir assisté à des changements dont on annonçait, alors qu’ils n’étaient encore qu’en perspective, des conséquences immenses en bien comme en mal, et dont les effets réels dans un sens ou dans l’autre ont paru après l’événement rester bien au dessous des prédictions, les Anglais ont fini par croire qu’il est en quelque sorte de la nature des changements politiques de ne pas répondre à l’attente qu’on en peut concevoir. Ils ont pris l’habitude de croire, sans trop se l’avouer, que les changements qui s’opèrent