tance par la nouveauté de ses formules métaphysiques que par la fascination qu’il exerce sur les esprits et par le sombre enthousiasme qu’il allume dans les âmes. C’est sans doute pour ces raisons que le livre de M. Caro commence par une étude sur Leopardi. Mais ne peut-on pas craindre qu’il n’y ait ici une illusion, ou, si l’on veut, une pure fantaisie d’artiste ? Que Leopardi ait senti toutes les tristesses aussi bien que toutes les fiertés, chacun le sait ; mais il y a loin encore de la tristesse au pessimisme. Moins que personne assurément, M. Caro pouvait tomber dans une méprise de ce genre. Son livre, en effet, est avant tout un travail de psychologie ou, si l’on veut, de pathologie morale. Il vaut surtout par des analyses dont la justesse ne sera pas dépassée, par l’art des distinctions et des oppositions qu’un critique appelait un jour les instruments de précision de l’esprit. On peut donc en demeurer pleinement convaincu, Leopardi n’est pas seulement un misanthrope, une âme inquiète et désolée, c’est un pessimiste ; il n’a pas dit seulement : Le mal est dans le monde, ou même : Le monde renferme plus de mal que de bien ; il a repris pour son compte le mot de Çakia-Mouni, qui reste encore depuis tant de siècles la formule exacte du système : Le mal, c’est l’existence. Voilà comment il se fait que la théorie de l’infelicità est vraiment une philosophie et que la meilleure méthode pour juger le poète est de le suivre pas à pas, tandis qu’il parcourt les trois stades de l’illusion, rendus depuis si célèbres par M. de Hartmann. Mais il faut en convenir aussi ; en donnant à Leopardi une place aussi grande, M. Caro n’a pas fait seulement un acte de justice ; il a cédé à une vraie séduction dont la force et le caractère se laissent aisément saisir dans ces lignes :
« D’instinct et sans rien approfondir, il a tout deviné dans cette philosophie du désespoir ; sans aucun appareil scientifique, il est bien peu d’arguments qui échappent à sa douloureuse clairvoyance. Il est à la fois le prophète et le poète de cette philosophie ; il en est le vates, dans le sens antique et mystérieux du mot ; il l’est avec une sincérité et une profondeur que n’égalent pas les plus célèbres représentants du pessimisme. Enfin, ce qui est bien quelque chose, il a vécu, il a souffert, il est mort en conformité parfaite avec sa triste doctrine, en contraste évident avec le désespoir tout théorique de ces philosophes qui ont su gouverner si bien leur vie et administrer à la fois le temporel et le spirituel du bonheur humain, leurs renies et leur gloire[1]. »
Il serait maintenant bien curieux de rechercher avec fauteur l’origine du pessimisme contemporain, soit en Allemagne, soit en France, de trouver la signification précise de ce livre étrange, les Dialogues philosophiques, qui fit tant de bruit il y a deux ans. Mais nous devons nous hâter d’arriver à ce qui forme la partie essentielle de l’ouvrage que nous étudions, la doctrine de Schopenhauer et celle de Hartmann.
. « J’estime, dit M. Caro, que les arguments du pessimisme, débar-
- ↑ P. 77.