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puyant sur l’autorité même de Claude Bernard, la vie elle-même et les conditions de la manifestation de la vie. Le mouvement avec ses lois, la physique, la chimie, sont les conditions nécessaires de cette manifestation, tout comme la chaleur, l’humidité, la lumière sont les conditions du développement de la graine. Quant à la vie elle-même, elle leur est supérieure, elle les domine, elle les contraint à tourner, à revenir sur elles-mêmes, à s’enfermer dans un certain cercle, sans en sortir, en vue d’un but déterminé, c’est-à-dire en vue de la formation, de l’achèvement et du maintien de telle ou telle forme, de tel ou tel être vivant et de nul autre au monde. S’il est vrai que la vie ne se manifeste que par la matière et par le mouvement, il n’est pas vrai que la matière et le mouvement soient aptes à engendrer la vie. Quoique la vie ne puisse s’en passer, elle est d’un autre ordre. « Vivre, dit bien M. Chauffard, c’est sentir, c’est se nourrir ou engendrer, c’est se mouvoir, c’est enfin vouloir. Rien de tout cela ne relève du mouvement ; c’est l’œuvre de la seule cause vivante. »

Depuis le végétal jusqu’à l’animal supérieur, partout il nous montre, en traits vifs et saisissants, cette spontanéité qui va toujours en croissant jusqu’à ce qu’elle atteigne dans l’homme son dernier degré, la liberté, en opposition profonde au déterminisme et au mécanisme des lois de la physique. On ne peut mieux que lui, à ce qu’il nous semble, dans des pages qui sont les meilleures du livre, opposer ces deux mondes, l’un où, comme il le dit, rien ne se crée, l’autre où la création est incessante.

La finalité, inhérente à la spontanéité même, et qui est sa liaison d’être, pénètre avec la cause vivante jusqu’aux dernières parties de l’organisme. Pas de cellule qui ne porte en elle sa finalité ; chaque cellule ne se développant qu’en vue d’un certain but qu’elle doit atteindre et auquel concourent avec elle toutes les autres cellules dans chaque être doué de vie. Les actions réflexes elles-mêmes, dont on a tant abusé, sont quelque chose de plus qu’un simple mécanisme ; elles ont un but de conservation qui empêche de ne voir en elles qu’une pure transformation du mouvement. Ce sont, a dit M. Vulpian lui-même, des mouvements défensifs. Elles portent donc aussi, comme toutes les actions de l’être vivant, la marque de la finalité. D’ailleurs que se passe-t-il quand le simple mouvement est en jeu, d’après les seules lois de la mécanique ? Il y a une exacte proportion entre l’action et la réaction ; c’est le fondement même de la mécanique. Or de combien ne s’en faut-il pas qu’entre l’impression extérieure et l’impression sensible les choses se passent de cette façon ? Un signe, un mot, une chiquenaude, peut nous faire bondir et troubler profondément tout notre organisme ; donc ici la réaction n’est nullement en proportion de l’action. Voici encore une autre différence, non moins profonde, entre la force mécanique et la force vitale. La première agit toujours, elle est constamment et tout entière en exercice, sans jamais se lasser ; la puissance vitale au contraire ne se manifeste pas tout entière à la fois. Si elle est tout entière en exer-