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janet. — perception visuelle de la distance

Les observations précédentes peuvent s’appliquer également au fait souvent invoqué des petits enfants qui étendent, dit-on, les mains pour atteindre les objets éloignés comme s’ils étaient proches ; fait qui a bien peu de valeur en cette question : car si l’enfant étend la main pour saisir un objet, même en se trompant, il a déjà depuis longtemps la notion de distance. Il ne se trompe que sur l’appréciation, mais il n’a pas à acquérir la perception : or nous avons vu que chaque sens est obligé de s’instruire même de ce qui le concerne exclusivement. Il est évident d’ailleurs qu’il n’y a rien à tirer de l’observation des petits enfants en cette matière : car, à l’âge où ils commencent à étendre les mains pour saisir un objet, ils doivent avoir depuis longtemps la notion de distance, même dans la théorie empiristique ; et, avant cet âge, nous n’avons aucun signe qui puisse nous apprendre s’ils ont ou s’ils n’ont pas cette notion.

Quant à l’argument qui se tire des illusions de la perspective et du dessin, nous répondrons que les images ne nous donnent après tout que l’apparence et l’imitation du relief, et en provoquent par là le souvenir ; mais elles ne nous en donnent pas la perception. Ce qui le prouve, c’est que vous n’avez qu’à prendre une de ces images et à la mettre dans un stéréoscope : aussitôt le relief jaillit véritablement ; on ne le percevait donc pas auparavant. Tout le monde reconnaîtra la différence entre le vrai relief perçu au stéréoscope et l’apparence du relief représenté sur un dessin. Celui-ci n’est que l’image de celui-là.

On fera remarquer que les images stéréoscopiques ne sont pas en réalité plus en relief que les autres, et que là encore ce sont deux surfaces planes qui suggèrent l’idée de la profondeur. Cela est vrai : mais il y a deux images, ce qui est un élément tout nouveau dans la question.

Mais la vraie solution de la difficulté, c’est de renvoyer à nos adversaires leur propre explication, et de ramener à l’association et à l’habitude non pas la perception normale, mais la perception erronée.

Dans la théorie nativistique aussi bien que dans la théorie empiristique, la couleur se joint à la profondeur, et les degrés de lumière se mesurent à la distance ; les deux perceptions se lieront donc


    avec Voltaire, Condillac, Diderot, sur la théorie berkléienne de la vision. Dans un autre ouvrage de ce temps, qui porte le même titre que le précédent, Histoire naturelle de l’âme, par le Dr Charp (Lamettrie), Oxford, 1747, l’auteur conteste les conclusions de Cheselden. « De deux choses l’une, dit-il : ou on n’a pas donné le temps à l’organe d’optique ébranlé de se remettre dans son assiette naturelle, ou, à force de tourmenter le nouveau voyant, on lui a fait dire ce qu’on était bien aise qu’il dit. » (P. 304.)