Le lecteur fait en ce moment l’expérience d’un des défauts et de l’une des qualités du livre que nous analysons. On y est à chaque instant entraîné à des discussions qui se rattachent bien au problème principal, puisque ce problème est un des carrefours de la philosophie, mais qui ne s’y rattachent pas assez étroitement pour ne pas masquer le terme où tend la démonstration. Supposons maintenant cette démonstration achevée, et admettons que la liberté est un mot à rayer du dictionnaire ; voyons comment la responsabilité non pas morale, mais légale, va s’accommoder de cette négation.
En deux mots, la responsabilité ne repose pas sur la liberté, sur l’intelligence de l’agent. Quand l’État punit, il défend non son existence (c’est le cas de la guerre avec l’étranger), mais le droit, violé par l’acte criminel. Or la question, en présence d’un délit, est de savoir si l’auteur de ce délit a été capable de comprendre qu’il attaquait en le commettant l’ordre légal, le droit. En effet, quand l’acte est dommageable à la société, mais n’a pas été accompli dans le but d’enfreindre l’ordre légal (meurtre accidentel], l’acte n’est pas considéré comme criminel. Les actes commis sans discernement (enfant qui tue, fou, etc.) jouissent de la même immunité ; ce sont encore des accidents en quelque sorte physiques. Dans la mesure, au contraire, où l’agent est intelligent, il est responsable.
Ici, on est surpris de voir l’auteur renoncer à la méthode de discussion et de démonstration minutieuses. Il pose ces principes et passe outre à l’exposé des circonstances où la responsabilité est diminuée ou détruite. Forcé contre son gré (il le dit lui-même] d’abréger cette partie de son ouvrage, M. E. Ferri eût, ce semble, mieux fait de ne nous en donner que la partie complète et de remettre à un autre volume et à un autre temps la production de ses vues sur les conséquences pratiques de sa doctrine. Tel qu’il est, cet ouvrage mérite toute l’attention des esprits impartiaux ; il sera difficile dorénavant décrire sur la liberté morale sans le consulter.
Les spéculations très-générales et les solutions très-simples qu’elles comportent ne sont pas d’une utilité directe, en raison de la complexité que la pratique découvre dans les cas particuliers auxquels il lui faut pourvoir. Ce que demandent les sociétés modernes, ce sont des études patientes et détaillées, de celles qu’une longue expérience, qu’un contact incessant avec les faits inspirent seuls. Et d’ordinaire il se dégage de ces études de praticiens des idées générales plus propres à clore les débats des spéculatifs que les conclusions