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ANALYSES. — Der Ursprung der Sprache.

M. Steinthal combat longuement cette théorie de l’assimilation primitive et de la confusion des idées ; et pourtant la perception de la ressemblance entre des objets de même ordre ne précède-t-elle pas en effet celle des différences, comme le prouve l’histoire des idées chez l’enfant et des classifications chez les peuples primitifs ?

Essai de grammaire générale. — Cette partie des recherches de Geiger est très-médiocre. Beaucoup trop généralisateur pour être un critique sûr et circonspect, Geiger étend à l’étude des langues historiquement connues ce qui n’est acceptable que de l’époque primitive de formation ; il a eu le tort de confondre sous les mêmes raisonnements la période de germination lente et irrégulière avec les périodes ultérieures d’organisation forcée et de culture réfléchie. Étudiant les racines d’une même famille de langues, dont la linguistique contemporaine établit le développement d’après les lois démontrées de la phonétique, il soutient qu’à l’origine chacune de ces racines avait un nombre extraordinaire d’acceptions ; que le même son exprimait différents concepts, et que le même concept était exprimé par divers sons. C’est ce qu’il appelle « l’indétermination primordiale des sons et des idées » (anfangliche Alldeutigkeit) ; le même concept, enfin de compte, pouvait être exprimé par tous les sons, et tous les concepts par un son quelconque. Les démonstrations qu’il essaye de cette doctrine, applicable à la rigueur à l’époque de création des langues, sont démenties par les lois les plus élémentaires de leur développement historique. La racine est déjà un son immobilisé. Mais Geiger voulait à toute force qu’on admît comme un dogme une origine similaire des sons et des idées pour toutes les familles de langues, c’est-à-dire un même son et un même concept primitifs, différenciés ensuite par une évolution continue. M. Steinthal réfute sans peine cette application étrange d’une conception aventureuse à l’histoire de langues actuellement et depuis longtemps constituées, par conséquent soumises à des lois fixes et vérifiables. L’apparition d’une idée nouvelle, dit-il, dépend sans doute de l’expérience accidentelle d’un peuple ; mais « les idées se conditionnent réciproquement dans leur formation, si bien qu’aucune ne peut naître fortuitement d’une autre, mais que chaque idée provient d’une idée déterminée conformément à des lois. » Le hasard réside purement dans l’association de l’idée avec le son.

Geiger croyait parler en historien du langage et n’était qu’un aprioriste ; Jäger se présente au contraire en zoologiste parmi les philologues[1]. Les langues littéraires les plus anciennes, dit-il, sont encore trop éloignées des commencements de l’espèce humaine pour que, grâce à elles, on puisse découvrir ou reconstruire la langue primitive. Il est donc plus sûr, pour s’en faire une idée, d’étudier l’animal et ses différentes formes de langages en se rapprochant par degrés de l’homme, puisque l’homme n’est, comme l’a bien vu Darwin, qu’une variété de singes anthropoïdes.

  1. Ueber den Ursp. der mensch. Sprache, publié dans Ausland 1807, n° 42.