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sur le développement intellectuel de l’homme, sur la formation de ses représentations (p. 121). »

Puisque, de l’aveu de tous, le langage tient indissolublement à la pensée, est une « catégorie psychologique générale de l’esprit humain », la première chose à faire, c’est de poser les lois universelles de l’apparition de ce phénomène. Mais, outre le langage pris in abstracto, il y a l’étude spéciale des différentes sortes de langues : au-dessous de la psychologie générale de l’espèce, il y a la psychologie particulière de telle race. À cet étage inférieur de la science, il y a encore à découvrir les lois psychologiques particulières d’où dépendent les catégories spéciales du langage : c’est l’affaire de la psychologie ethnographique. — Le physiologiste, de son côté, est appelé à résoudre d’importantes difficultés : à expliquer, par exemple, pourquoi les impressions de l’ouïe réagissent sur les autres sens, de telle manière que les phénomènes de son et de lumière sont fort souvent désignés par la même racine. — Reste enfin le point de vue historique. Si le langage est une catégorie de la pensée, l’étude historique des langues ne nous présente-t-elle pas la réalisation graduelle de la fin commune, de l’idée du langage (die Sprachidee) ? Mais, pour s’élever à une vue philosophique du langage, il est nécessaire de s’appuyer sur une classification philosophique des langues. C’est ce qu’a essayé G. de Humboldt en prenant pour caractéristique essentielle des langues humaines non pas des différences extrinsèques, le monosyllabisme ou le polysyllabisme, mais ce qu’il appelle le moule mental de l’expression, die innere Sprachform.

C’est ici un des points les plus curieux de la conception adoptée et vigoureusement défendue par M. Steinthal. — La pensée, considérée abstraitement, a ses cadres propres, où elle est forcée d’entrer et de se façonner, à savoir les catégories toutes logiques de l’entendement. De même l’expression phonétique de la pensée est soumise à des formes propres, où elle se pétrit et prend sa figure déterminée. Voyez, en effet, les différents facteurs de cette activité psychique qu’on appelle le langage : c’est d’"abord le son qui est la matérialisation de la pensée ; puis le moule intérieur de l’expression, ou le mode propre de cette incarnation de la pensée ; enfin le contenu intellectuel, c’est-à-dire les idées et les concepts qui sont l’objet de cette expression phonétique. Ces trois éléments, vous les retrouvez dans toute œuvre d’art : cette statue, par exemple, est d’abord du marbre, mais aussi une figure de femme tenant une balance et un glaive, et enfin c’est le symbole de la Justice. « Premièrement, ce qui répond à la phonologie et à la morphologie du langage, c’est, pour prendre un autre exemple, l’anatomie : ainsi le verbe est un élément anatomique du langage, de même que les poumons un élément anatomique de l’animal. Secondement, la transformation chimique du sang opérée par l’oxygène de l’air se rattache à une loi naturelle générale, mécanique : tout autant que mouvement, ou devenir, activité, est un concept métaphysique. Le pro-