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ANALYSES. — Der Ursprung der Sprache.

Le seul philologue français cité par M. Steinthal est M. Renan, dont le point de vue rappelle les conceptions de Herder, de Schelling et de Humboldt.. Avant tout, M. Renan combattit, dans son Essai sur l’origine du langage, l’idée d’une création artificielle. « Si le langage, disait-il, n’est plus un don du dehors, ni une invention tardive et mécanique, il ne reste qu’un seul parti à prendre : c’est d’en attribuer la création aux facultés humaines agissant spontanément et dans leur ensemble. » On ne soupçonnait pas encore la troisième hypothèse, la seule qui ôte au langage humain son caractère miraculeux, celle d’une élaboration lente de la pensée et des signes articulés.

La première théorie de Steinthal. — Le tort de toutes ces doctrines était de ne point expliquer les lois et conditions du développement primitif du langage, d’attribuer l’apparition de ce phénomène à une faculté primitive indécomposable, de résoudre toutes les énigmes en invoquant un don merveilleux de la nature humaine, déguisé sous le nom de « spontanéité ». C’est l’honneur de M. Steinthal d’avoir, dès la seconde édition de son ouvrage (1858), « transporté la question du domaine de la métaphysique sur le terrain de la psychologie », comme il le dit lui-même.

« Si, pour parler, écrivait-il alors, l’homme primitif eût dû employer d’autres forces que celles dont nous disposons, il nous serait impossible, à nous, de parler aujourd’hui ; et, par cela même que nous parlons aujourd’hui, l’homme primitif, lui aussi, parlait, et pour les mêmes raisons, car nous sommes l’âme de son âme et la chair de sa chair. Il n’y a ni deux logiques ni deux psychologies ; l’homme, en tout temps, pense et parle de la même manière, c’est-à-dire en vertu des mômes lois inhérentes à sa nature spirituelle, sauf que naturellement, par suite de la même loi, des résultats différents doivent se produire dans des conditions différentes (p. 122). » Dès cette époque, il envisagea le langage comme un organe intellectuel (ein gestiges Organ), qui, tout en étant distinct de la pensée, est nécessaire à ses plus délicates opérations. Mais comment cet organe fonctionne-t-il et facilite-t-il l’évolution de la pensée ? « La question de l’origine du langage présente maintenant l’intérêt d’un problème psychologique, à savoir : comment l’esprit se dégage de la nature, c’est-à-dire de l’activité inférieure de l’âme. Si l’on considère l’esprit au sens indiqué tout à l’heure (ensemble d’opérations de la pensée ou de l’intelligence), la pensée comme la caractéristique propre de l’homme, voici à quoi revient la question : Quel rôle joue le langage dans la formation de la conscience humaine ? comment de l’hébétement propre à l’animal se dégage le moi humain, la personnalité consciente ? Qu’est-ce que l’âme gagne de plus avec le mot ? Quelle importance a le langage comme révélation de l’esprit dans le monde intellectuel ? Suivant quelles lois psychologiques se forme-t-il et exerce-t-il son action ? Voilà ce qu’il s’agit de mettre en évidence : les rapports de la parole avec la forme d’activité la plus basse et la plus haute de l’esprit, sous toutes leurs faces, l’influence du langage