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nolen. — les nouvelles philosophies en allemagne.

qu’une philosophie, étrangère à la certitude et à la réalité, pour parler à la conviction des penseurs.

Le pessimisme moral de Hartmann ne fait pas une moindre violence à la nature humaine que le scepticisme critique de Lange. On ne peut du moins lui refuser la conséquence et la rigueur des déductions, qui manquent trop souvent à ce dernier. Puisque la vie est mauvaise et que l’erreur seule de la volonté inconsciente la perpétue, l’œuvre de l’homme, la fin suprême de la volonté consciente, est de travailler à corriger cette erreur par la réflexion philosophique et par l’éducation morale. Et comme il ne suffirait pas que l’humanité en masse arrivât au détachement de la vie, pour que la vie avec ses illusions et ses souffrances, pour que les puissances aveugles et instinctives qui l’engendrent cessassent de la reproduire et de l’alimenter, c’est à la volonté consciente, c’est à l’homme armé de la science et de l’industrie, de mettre aux prises et de briser les unes contre les autres les énergies brutales de la nature, et d’anéantir du même coup avec l’humanité les forces aveugles, où la volonté inconsciente déploie son fol attachement à la vie. La morale de Hartmann enseigne le désintéressement, le sacrifice de l’individu au bien général, tout comme celle de Kant lui-même. Identique par son principe avec la morale utilitaire, elle reçoit du pessimisme de l’auteur et de sa métaphysique un caractère d’abnégation héroïque, en même temps qu’elle évite de s’égarer dans l’égoïsme ascétique, dans l’inertie bouddhique que professe Schopenhauer. Mais Hartmann a beau faire ressortir les modifications pratiques qu’il a su introduire dans la morale du pessimisme, montrer que le goût de l’action, le culte de la science et de l’industrie s’y associent mieux que partout ailleurs à l’esprit de renoncement et de sacrifice ; il a beau insister sur la valeur religieuse des inspirations mystiques qui la soutiennent et nous y découvrir comme dans l’ascétisme chrétien, le plus efficace contre-poison de l’égoïsme, le remède unique aux passions qui alimentent les divisions et les haines sociales : tout ce grand effort d’une vigoureuse et noble intelligence ne réussit pas à nous rendre plus supportable l’étrange conclusion, la tragédie apocalyptique où la nécessité implacable du système entraîne l’imagination du philosophe.

Nous ne sommes pas exposés, avec Dühring, à d’aussi surprenantes révélations. Sa morale ne diffère pas sensiblement des enseignements traditionnels de l’utilitairianisme ou du positivisme. Sauf la théorie du droit de la vengeance privée, qui devient le pivot de la justice sociale, sauf le communisme décidé et tranchant des idées sur la réforme économique et politique et sur l’éducation, les