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nolen. — les nouvelles philosophies en allemagne.

des espèces. Elle est éternelle et immuable, tandis que le monde des atomes, qu’elle enfante, est soumis à la loi du changement et qu’il est limité dans l’espace et le temps. Mais pourquoi sort-elle de l’éternel repos, pour engendrer la vie ? Mais quel est le sens et quelle sera la fin de son activité temporaire ? Ce nom de matière qu’on lui donne est-il bien celui qui convient à un principe où les éléments formels tiennent une si grande place ? Enfin la matière n’est-elle pas une abstraction ? L’esprit ne serait-il pas le principe suprême et l’unité radicale, en qui viennent se résoudre toutes les différences ?

Hartmann, comme la plupart des grands métaphysiciens, s’est préoccupé de ces difficultés, et comme eux il les résout dans le sens de l’idéalisme. Il voit l’être du dedans, et non plus par le dehors. Il l’étudié à la lumière subtile de la conscience, et non plus à la clarté grossière des sens. Or ce qu’il trouve au-dedans de lui, c’est l’activité et la pensée, c’est le vouloir et la représentation. Ce que l’expérience de sa propre nature lui montre en lui-même, il le transporte à la réalité tout entière. Partout se déroule le même drame dont la conscience humaine est le théâtre le plus lumineux, la lutte du vouloir et de l’idée, de la déraison et de la logique. En chaque être, comme en nous, s’agitent deux principes, l’un bon, l’autre mauvais. Et toutes les misères de la vie viennent de leur opposition, car c’est leur opposition seule qui engendre et perpétue la vie. Le jour où l’antagonisme aura cessé, par la défaite du mauvais principe, la souffrance ne sera plus, mais avec elle la vie aura pris fin. La création a donc sa cause dans l’antagonisme qui s’est produit un jour entre les deux principes éternels, et les a brusquement arrachés à la paix de l’éternité inconsciente, où ils coexistaient. La raison, depuis ce jour, travaille à guérir la volonté de son aveugle attachement à la réalité. Et pour cela elle fait servir le mouvement de la vie au développement de la conscience. C’est qu’aux progrès de la conscience correspondent infailliblement ceux de la souffrance, lesquels amènent à leur suite le dégoût de l’existence et le désenchantement de la volonté. Mais à quoi bon insister plus longtemps sur cet étrange dualisme des attributs de l’être universel ? L’explication qu’il apporte à l’origine des choses n’est-elle pas, à son tour, plus obscure que la vie elle-même ? Et tout l’effort de cette subtile métaphysique fait-il autre chose que reculer la difficulté ? En admettant que l’énigme de la vie en reçoive quelque clarté, ne nous trouvons-nous pas en présence d’une énigme plus impénétrable encore : la coexistence au sein de l’être éternel de deux principes contraires ?

Ne préférera-t-on pas s’en tenir à l’ignorance de Lange, que s’engager dans les contradictions ou les obscurités, auxquelles les sys-