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périodiques. — Philosopische Monatshefte.

connaissance au sens intime, et se déclarer impuissant à opposer la moindre preuve au sceptique, qui prétendrait contester la réalité des choses. » (Critique de la raison pure. Préface de la 2e  édition.)

Comment donc démontrer la réalité extérieure ? Comment la retrouver, en partant du doute méthodique, dont Descartes a fait le point de départ nécessaire de toute certitude ? La solution de Descartes, on le sait, est loin d’être satisfaisante. On a cherché successivement à invoquer l’autorité du témoignage des sens, puis celle du raisonnement. Mais, comme l’a montré avec raison Lichtenberg, la sensation ne contient rien d’objectif. Tirer la réalité extérieure d’un raisonnement, c’est faire un cercle vicieux. Il faudrait que la réalité fût déjà contenue dans la majeure du raisonnement. Or c’est la légitimité d’une telle majeure qu’il s’agit d’établir. Faut-il donc répéter avec Lichtenberg : « Nous sommes et demeurons idéalistes, et nous ne pouvons absolument rien être autre chose. Tout ne nous est donné que par nos représentations. Croire que ces représentations et ces sensations sont causées par des objets extérieurs, c’est encore là une représentation. Il est absolument impossible de réfuter l’idéalisme, parce que nous serions toujours des idéalistes, lors même qu’il y aurait des objets hors de nous : car nous ne pouvons rien savoir de ces objets. Si nous croyons que les choses se produisent hors de nous sans notre intervention, les représentations de ces choses peuvent aussi se produire en nous sans que nous y soyons pour rien. »

Mais si un être qui n’aurait que la faculté de sentir et celle de raisonner nous parait condamné à tenir le même langage que Lichtenberg, il n’en est pas de même d’un être doué de la puissance d’agir, doué de volonté. Et tel est le cas de l’homme.

On ne réussit à triompher de l’idéalisme qu’autant qu’on envisage l’homme dans l’exercice de sa liberté, qu’on analyse la conscience qu’il prend, par l’effort volontaire, de sa propre force et de la force qui s’oppose à la sienne, et par suite de l’existence d’un monde de réalités extérieures en conflit avec sa volonté.

On a objecté sans doute que l’effort se mesure aux sensations musculaires qui l’accompagnent, et qu’on revient ainsi à prêter à la sensation une valeur objective : mais, si l’effort provoque la sensation, il ne doit pas être confondu avec elle, et l’effort n’est possible que par la résistance rencontrée et sentie.

Gustav Knauer : Kant’s Begrundung der Ethik von Herm. Cohen. (Berlin, Dummler, 1877).

L’éminent auteur de Kant’s Theorie der Erfahrung (1871), qui a ouvert en quelque sorte la voie aux nombreux commentaires dont l’œuvre critique a été l’objet depuis dix-huit années, consacre son nouvel ouvrage à la philosophie morale de Kant. Mais il ne se borne pas au simple rôle d’interprète : il juge, il corrige, il complète, mais toujours dans l’esprit de la méthode et des principes du maître. Ne pousse-t-il pas pourtant trop loin la fidélité à la doctrine de Kant, lorsqu’il persiste à soutenir que