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sort de l’absolu, est le plus souvent aliénée. Sans parler du mal voulu par l’homme, que d’influences mauvaises s’emparent de lui et le maîtrisent, avant que son libre vouloir ait pu prendre la conscience et la direction de lui-même ! Combien de destinées sont manquées pour avoir subi, avant de pouvoir s’en rendre compte et réagir, une pernicieuse contagion ! En droit, le bien de l’homme est voulu par Dieu d’une manière immuable ; en fait, le mal est le plus souvent le lot de l’homme, grave et terrible problème, qu’esquivent la plupart des philosophies ou dont elles ne donnent que des solutions insuffisantes, et que M. Secrétan pose en termes saisissants, mais qu’il ne croit pas pouvoir résoudre avec les seules ressources de la philosophie.

« La raison nous enseigne, dit-il au premier de ses Discours laïques, le Problème de la philosophie, que l’ordre réel est un ordre absolu ; l’expérience ne nous fait connaître qu’un ordre partiel, qui très-souvent nous semble troublé. La raison nous dit que la perfection véritable, c’est la perfection morale, que toute réalité repose sur la perfection morale, que l’ordre moral est le fond même et la raison d’être de toute existence. L’expérience ne nous montre l’ordre moral réalisé nulle part. Ceux qui comptent sur la justice de leur cause pour en assurer le gain sont des niais ; ceux qui prétendent faire prévaloir la justice ici-bas sont des don Quichotte, heureux quand on ne les prend pas pour des hypocrites et pour des fripons. Ce n’est pas à la vérité qu’appartient la force ici-bas, c’est à la dissimulation et au mensonge. Quel que soit l’enjeu : une fortune, un rameau d’oranger, le diadème, la demi-tasse, il n’importe ; celui qui laisse voir dans ses cartes perd la partie. L’opposition de la raison et de l’expérience est donc bien réelle. En poussant les notions rationnelles à leurs conséquences, en les rassemblant en un faisceau, comme la raison elle-même nous le commande, nous sommes conduits à des affirmations diamétralement contraires aux enseignements de cette expérience, qui réclame pourtant le concours des mêmes notions, de la même raison. »

Comment concilier ces choses, qui semblent inconciliables et qui ne peuvent cependant demeurer isolées, sans que la vie en soit profondément troublée ? « Pour mon compte, déclare M. Secrétan, je ne trouve aucun moyen de concilier les réalités du monde avec la suprême vérité de la perfection, sinon dans les idées que l’éducation religieuse nous a rendues familières : la personnalité de Dieu, la création, la liberté de la créature, l’altération de la créature, résultat d’un mauvais usage de sa liberté, la restauration de la créature par les compassions divines, qui constitue une création nouvelle et qui nous est attestée par le fait du progrès… La conformité du christianisme aux besoins de notre raison est à mes yeux la preuve que le christianisme est vraiment d’origine divine, et la philosophie devient ainsi un commentaire de l’Evangile. »

Ainsi, pour M. Secrétan, la métaphysique est une libre apologie du christianisme. De là la fortune de son système auprès d’une fraction du