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pouvons déjà indiquer les opinions de l’auteur sur l’évolution et la classification des sentiments.

Les sentiments (et M. Horwicz prend ici ce mot dans son acception la plus large), très-simples à l’origine, se compliquent de plus en plus avec le progrès de l’organisation et du fonctionnement. Cette évolution se fait dans trois sens différents : dans le sens qualitatif, dans le sens organique et dans le sens potentiel. Ces trois termes exigent une explication. Le premier est relatif à l’origine des divers sentiments : suivant qu’ils proviennent de l’activité des sens, de l’imagination, de l’entendement, de la volonté, ils présentent des caractères distincts et une complexité toujours croissante. Le second terme ne s’entend que dans le système particulier de l’auteur : on sait que, dans ce système, « le sentiment est l’activité psychique dans sa forme la plus simple, la plus élémentaire, la plus générale, et que cette activité est le point de départ de tous les autres processus psychiques[1]. » Dès lors, un chapitre important de l’histoire naturelle des sentiments doit étudier l’épanouissement progressif de ceux-ci en pensées, volitions, etc. En dernier lieu, les sentiments peuvent porter les uns sur les autres et produire ainsi des sentiments composés du second degré (secondaires) ou même du troisième (tertiaires), par exemple la crainte de la douleur d’une opération. C’est ce qui constitue le développement potentiel.

L’auteur se propose de retracer l’histoire de révolution des sentiments dans ces trois sens, qu’il compare aux trois dimensions de l’étendue (p. 85) ; mais nous n’avons ici à faire qu’aux sentiments qualitatifs, qui forment seuls la matière du présent volume. Au seuil de leur étude se présente une question, à notre sens, capitale et dont la solution est d’une grande portée pour la psychologie tout entière : la distinction « qualitative » des sentiments est-elle légitime ? eu tant que faits de plaisir et de douleur, les sentiments diffèrent-ils suivant leur cause extérieure et leur origine psychique ? M. Horwicz n’hésite cas à répondre affirmativement. « Que la faim, a-t-il dit à cette place même, soit un sentiment tout à fait différent de la jouissance produite par une sonate, qu’une bonne odeur diffère du plaisir causé par un bon mot, cela est évident pour tout homme impartial, et aucun raisonne « ment psychologique ne parviendra à lui prouver le contraire[2]. »

À l’appui de cette opinion il invoque aujourd’hui deux raisons principales : 1° il est complètement impossible de décomposer les sensations physiques, par exemple, en une qualité indifférente et un rapport d’intensité agréable ou pénible, et 2° en admettant cette thèse, on serait amené à considérer le sentiment comme un simple accident dans la perception, et comme un accident généralement désagréable, deux principes inconciliables avec l’ensemble de la théorie (p. 92). Le rai-

  1. M. Horwicz, dans la Revue philosophique d’avril 1877.
  2. Revue philosophique, tome III, p. 435.