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analyses. —mayr. — Geschichtsauffassung der Neuzeit

pouvait songer à transformer l’historiographie consacrée. Et pourlant, qui l’eût prévu ? le Discours sur l’histoire universelle, tout conforme à la tradition qu’il est, a souvent un air tout païen ; à côté du « royaume de la grâce », Bossuet y admet un « royaume de la nature » et par là sans le vouloir, se place hors de pair. À part les grandes catastrophes, qui sont les miracles de l’histoire, rien n’arrive en ce monde qui n’ait sa cause dans les siècles antérieurs. Tout en rattachant l’histoire particulière des peuples à l’histoire du peuple de Dieu, Bossuet ne craint pas d’invoquer et de proposer des explications positives, tirées de la situation, du caractère, des qualités morales propres à chaque peuple, et d’où tout le reste dérive.

Avec Bossuet, la philosophie dogmatique de l’histoire, sous sa forme judéo-chrétienne, arrive à son apogée et meurt : la Renaissance triomphante venait de « ramener l’Histoire du Ciel et des Enfers sur la Terre son vrai théâtre. »

II. Cette rénovation de la philosophie de l’histoire coïncide, chose curieuse, avec la résurrection du platonisme, c’est-à-dire d’une doctrine au fond hostile à l’histoire, puisqu’aux yeux de Platon l’universel peut seul être objet de science, à l’exclusion du concret et du particulier ; or, la matière de l’histoire, c’est précisément ce qui est une fois pour toutes, ici ou là, et puis disparaît à jamais. Platon avait bien essayé d’éclaircir les rapports du monde des faits au monde des idées : l’idée que l’humanité doit réaliser, c’était, selon lui, l’idéal moral du bien et du juste. Mais quelle chute de l’humanité idéale à l’humanité historique ! Peut-on bien dire encore que la seconde est l’image de la première ? Hegel se fût tiré d’affaire en répondant que l’idée se pose et se déroule d’elle-même, avec une logique immanente, à travers tous les contraires. Mais cette adoration idolâtre du fait, cette apologie brutale du réel, est ce qu’il y a de plus antipathique à l’idéalisme grandiose, à la fois esthétique et moral, de Platon. La merveilleuse impulsion que le platonisme communiqua aux généreux esprits de la Renaissance et qui les soutint dans leurs spéculations politiques et sociales les plus hardies ne pouvait venir que d’une doctrine de protestation contre les faits.

Individu ou nation, c’est un point qu’il faut décider. L’idéal est-il totalement étranger au monde réel ? l’inaction, la contemplation et la prière seront le refuge des âmes élevées. Si l’idée est le principe moteur et régulateur des choses, d’où vient qu’à toutes les époques cette souveraine est bafouée et mise en croix ? Si elle n’est que la suivante complaisante du succès, la complice rusée de la force, prête à toutes les compromissions honteuses, comme il plaît aux hégéliens, que nous veut cette divine trompeuse qui s’accommode de tout ? Serait-ce donc que l’Idée est d’ordinaire impuissante, parce qu’en définitive elle est simplement un heureux accident de l’histoire, l’efflorescence précaire de la pensée humaine, d’autres diront de notre activité cérébrale ? C’est à cette dernière conception, la plus voisine des