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reinach. — études psychologiques en allemagne

Protée. Quels sont les principes essentiels d’une classification des entretiens ? Faut-il s’attacher au sujet, à la qualité des interlocuteurs, à leurs nombres, à leurs rapports ? Ne doit-on pas tenir compte de l’allure de la conversation, du lieu de la scène ? Ne pourrait-on pas aller plus loin et découvrir de véritables lois de la conversation, comme des autres productions naturelles de l’esprit humain ? Un fait étant porté à la connaissance de plusieurs personnes, comment, d’après la nature de celles-ci, prévoir la tournure que prendra l’entretien ? À côté de la conversation, ne faudrait-il pas accorder quelque attention au silence, si varié dans ses causes et dans son caractère ? Que dire enfin des nombreux effets de la conversation, effets moraux, sociaux, psychologiques, littéraires ? Tels sont quelques-uns des problèmes effleurés, plutôt que traités à fond, dans cet agréable morceau, qui rappelle certaines pages de Jouffroy.

Une étude bien plus développée, mais moins originale, a pour sujet le cœur. Ce « muscle singulier », comme l’appelle ailleurs notre auteur, est depuis trente siècles l’aliment et le désespoir des poètes, des romanciers et des philosophes ; nous doutons que la dissertation de M. Lazarus doive jeter beaucoup de lumière sur son histoire naturelle. Après avoir indiqué sommairement le rôle du sentiment dans la vie humaine, dans les arts, dans la genèse de nos idées, dans le bonheur, M. Lazarus étudie les rapports entre les phénomènes de la sensibilité et les faits physiologiques qui les accompagnent ; il essaye de justifier dans une certaine mesure, comme l’a déjà fait Claude Bernard, l’opinion vulgaire qui persiste à placer dans le cœur le centre et le principe de la vie sensible. L’opposition banale du cœur et de l’esprit, qui impatientait déjà Voltaire[1], l’amène à se demander pourquoi, dans toutes les littératures et les philosophies primitives, le cœur, à l’exclusion du cerveau, est considéré comme l’organe unique ou principal de l'activité intellectuelle. La physiologie et l'histoire fournissent la solution de la question. Chez les individus et chez les peuples enfants, les actes intellectuels ont un plus grand retentissement dans l’organisme et dans le cœur en particulier que dans les sujets arrivés à la plénitude de leur développement : avec l’âge et l’expérience, de quasi-sensibles ces actes passent peu ai peu à l’état d’opérations purement théoriques. C’est ce qui explique aussi pourquoi dans les choses du cœur, religion, mœurs, formes politiques, beaux-arts, les peuples bien doués de l’antiquité ont ravi tout mérite d’originalité aux siècles à venir.

La classification des sentiments donnée par M. Lazarus diffère par

  1. Zadig, Histoire orientale, ch. 15.