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tervalle a été rempli. Suivant qu’on se place à l’un ou l’autre point de vue, on peut arriver à des conclusions tout à fait opposées.

Les mêmes éléments entrent dans le problème de l’estimation d’une durée future ; mais ils se compliquent par l’intervention de faits sensibles, comme l’espérance, la crainte, le désir, enfin l’âge du sujet. Ce dernier point a été vivement mis en lumière par M. Paul Janet dans cette Revue même (Une illusion d’optique interne, mai 1877). M. Lazarus rend justice à la contribution de M. Janet, mais il lui reproche, avec M. Th. Bernard (dans la Revue d’août 1877), d’être resté au point de vue abstrait d’une psychologie scolastique et de n’avoir pas tenu compte, en posant sa « loi générale », des nombreuses circonstances qui peuvent la modifier dans l’application. On sait que la loi de M. Janet consiste à dire que la durée apparente d’une époque (passée ou future) est inversement proportionnelle à l’âge du sujet. « Or, objecte M. Lazarus, supposons que des parents âgés de cinquante ans décident que leurs enfants se marieront dans un an. Soit vingt-cinq ans l’âge des fiancés. L’année à passer leur paraîtra certainement plus longue qu’aux parents, mais non pas deux fois plus longue, mais peut-être dix fois. En un mot, l’âge des sujets sera bien une, mais non la seule condition de l’évaluation du temps. » Nous pensons qu’au fond M. Janet n’a jamais prétendu autre chose, et que cette critique n’est pas juste. Si un physicien, étudiant les lois de la dégradation des objets vus à distance, établissait le principe que la netteté de la vision est en raison inverse des carrés des distances, on ne serait pas fondé à lui reprocher de ne pas tenir compte des circonstances accessoires qui peuvent modifier le résultat, comme la grandeur de l’objet, les objets intermédiaires, l’état de l’atmosphère, etc. Dans une question aussi compliquée que « l’optique interne », c’est déjà beaucoup que d’avoir mis le doigt sur une loi générale à peu près exacte.

On le voit par cette rapide analyse : la métaphysique de M. Lazarus n’est ni neuve ni profonde, mais sur le terrain de la psychologie il se sent à son aise et déploie de véritables ressources d’observation et de méthode. Avec le goût des faits précis qu’il a hérité des Écossais, il joint souvent la largeur de vues qui caractérise l’école de Herbart, recherchant et atteignant parfois au-dessus des phénomènes les lois permanentes qui les régissent. Comme exemple de ces qualités, nous signalons en particulier la petite conférence sur les Entretiens (über Gespräche), étude intéressante et « suggestive », comme disent les Anglais, sur un sujet encore vierge et dont l’infinie variété semble d’abord rebelle à la précision de l’analyse psychologique. M. Lazarus a réussi à arracher quelques oracles à ce