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LES ÉTUDES PSYCHOLOGIQUES EN ALLEMAGNE

M. LAZARUS[1].



On n’a pas oublié avec quelle force, dans un discours prononcé l’année dernière, le savant recteur de l’Université de Berlin dénonçait les progrès de l’américanisme dans la patrie de Leibniz et de Kant. Par ce néologisme expressif il désignait le système, qui, répudiant toutes les études dépourvues d’une utilité pratique immédiate, condamne l’esprit humain à rester dans une sorte de barbarie intellectuelle mal dissimulée sous le vernis superficiel d’une civilisation brillante, mais tout extérieure. Le vaste développement de la science et de l’industrie modernes a fait prendre à la lettre par un grand nombre d’esprits la célèbre définition : « L’homme est un animal qui fait des machines. » Ils ont tourné toute leur activité vers la recherche du bien-être, de la fortune et des connaissances positives qui en facilitent l’acquisition ; ils ont déserté, au contraire, la poésie, l’art, la métaphysique, toutes ces manifestations supérieures de l’activité humaine, qui, en épurant l’âme, l’ennoblissent, la fortifient et lui ouvrent un libre essor vers de plus larges horizons.

Cette tendance à bannir l’idéal de la vie, de la pensée, de l’éducation d’une société, est grosse de périls. Sans aller jusqu’à dire que « c’est à l’esprit de l’impératif catégorique que l’Allemagne a dû ses triomphes[2] », il faut reconnaître que le culte des choses de l’esprit, le sentiment du devoir, l’ardeur de convictions désintéressées sont les sources profondes d’où dérivent la dignité des individus et la grandeur des nations. Ces sources menacent de tarir de l’autre côté du Rhin ; on s’efforce, un peu tard peut-être, de les raviver. Dès 1871, il est vrai, à l’heure où l’enivrement causé par les gloires nationales laissait peu de place à la froide réflexion, {{|M.|du Bois Reymond}} écrivait dans la Deutsche Rundschau : « L’idéalisme succombe dans sa

  1. M. Lazarus, Ideale Fragen in Reden und Vorträgen (Berlin, Hoffman, 362 p.). Questions idéales traitées dans des discours et des conférences.
  2. Lazarus, Ein psychologischer Blick in unsere Zeit, p. 20.