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comme des termes relatifs, pour bien montrer que, dans l’ « existence » qui les contient les uns et les autres, les phénomènes ne sont pas classés comme un cas des noumènes, mais les noumènes comme un cas des phénomènes. « Prenons un exemple. Montagnes et vallées sont des termes relatifs. Supposons le pays nivelé. La distinction s’évanouira également, soit que les vallées s’élèvent à la hauteur des montagnes, soit que les montagnes s’abaissent au niveau des vallées. Dans le premier cas, nous aurons un plateau, dans le second une plaine basse. Le niveau de la mer est la commune mesure à laquelle on comparera la plaine et le plateau. Il y a aussi une commune mesure pour comparer les phénomènes et les noumènes : c’est le principe de réflexion. Le mot phénomène a, par rapport à ce principe, un sens absolument indépendant de l’existence et du sens de l’autre terme, le noumène. Il désigne l’existence sous son aspect subjectif, vue ou connue. L’existence des phénomènes ne dépend donc pas le moins du monde des noumènes, bien que ces deux termes soient relatifs. Ils sont comme le plateau à la hauteur duquel les vallées se sont élevées, les montagnes et les vallées, telles qu’elles étaient, ayant été également supprimées. »

En effet, ce qui était la chose en soi a été ramené à l’état de simple phénomène et relégué dans ce monde possible, dont le nôtre n’est qu’une partie, monde purement phénoménal, possible pour nous, mais actuel pour d’autres consciences que les nôtres. Au lieu de la notion de choses en soi, nous devons retenir celle de monde invisible (Unseen World) ; admettre la possibilité d’un tel monde et des choses, c’est-à-dire des phénomènes, qui les composent, c’est détruire la notion de noumène.

Kant attribuait l’objectivité aux catégories ; pour nous, au contraire, l’objectivité et la subjectivité ne sont que des déterminations introduites par la réflexion dans la conscience primitive. « L’objectivité est donnée non par la pensée, mais par la réflexion. Aussi, au lieu de la chose en soi qui est un « pur objet », c’est-à-dire une contradiction dans les termes, nous avons un phénomène qui est hors de la portée de la conscience directe, mais auquel atteint la conscience réfléchie. Il est très-vrai que le même mode de conscience qui donne l’objectivité est en même temps nécessaire pour concevoir la question d’une source de l’être ; mais ce mode de conscience, ce n’est pas la pensée comme opposée à la perception, mais la réflexion comme opposée à la conscience directe. La perception réfléchie donne l’objectivité, et la conception réfléchie survenant donne naissance à la notion d’une source de l’être et pose le problème de l’origine des percepts objectifs et subjectifs. »