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des choses et des personnes et à laquelle l’individu s’élève par degrés, comme nous venons de le voir, la conscience directe se substitue à la conscience réfléchie, qui se borne à distinguer deux termes inséparables. Cette troisième forme de la conscience ressemble à la forme primitive, et l’on peut les désigner l’une et l’autre par un même nom, celui de conscience simple. En effet, au lieu de séparation de groupes, comme nous le trouvons dans la conscience primitive, nous avons, sous les noms d’âme et de matière, ou de choses matérielles, une séparation de l’objectif et du subjectif. Le monde, pour cette forme de la conscience, se divise en deux grandes classes d’êtres, les choses, considérées comme pouvant être immédiatement perçues par des personnes, et ces personnes, qui perçoivent immédiatement les choses. Ce monde est le monde des sciences en général.

La psychologie, dans une certaine mesure, et surtout la philosophie, ont pour but de détruire cette illusion, de montrer, nous le verrons bientôt, combien est chimérique cette hypothèse d’existences absolues. Cette hypothèse provisoirement écartée, « il n’y a pas d’autre moyen pour expliquer le passage des sensations primitives à la contre-partie subjective des choses objectives » que d’admettre une distinction des deux aspects, faite par la réflexion. La seule explication possible de la séparation des deux termes, telle que nous la donne aujourd’hui la conscience directe, est d’en revenir à cette distinction de deux faces inséparables des phénomènes, distinction antérieurement établie par la conscience réfléchie. Tout autre procédé nous conduirait tôt ou tard à l’hypothèse grossière dont nous avons ajourné l’examen, mais dont nous pouvons dire déjà qu’elle est la négation même de toute philosophie.

Les trois formes de la conscience ont également toutes les trois deux fonctions distinctes, celle de percevoir et de concevoir. Toute conscience en effet, par cela même qu’elle se développe dans le temps, est un processus continuel formé d’une série d’états de conscience. Chacun des états de cette série peut être considéré seul, et il est pris alors statiquement (slatically), comme s’il était en repos, bien qu’il soit en mouvement par cela seul qu’il occupe le temps. Toute portion de la série, longue ou courte, simple ou complexe, peut être considérée de cette manière, et, à ce point de vue, elle est un « percept ». Mais si l’on fixe son attention sur cette portion de la série pour la rattacher à quelque autre partie, elle devient un concept, ou du moins un percept d’attente (an expectant percept), ou un concept inachevé, jusqu’à ce qu’il soit complété par l’établissement de la connexion qu’il a avec la nouvelle partie de la série. Ce complément une fois assuré, le tout est un concept en tant qu’il consiste en deux