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croyons naturellement, jusqu’à ce que nous soyons réveillés de notre songe par quelque fait brutal. — La méthode d’autorité régira toujours la grande masse des hommes, et ceux qui détiennent dans l’État la force organisée sous diverses formes ne seront jamais convaincus que les doctrines dangereuses ne doivent pas être supprimées de façon ou d’autre. Si la liberté de parler reste à l’abri des formes grossières de contrainte, on assurera l’uniformité d’opinion par une terreur morale que sanctionnera sans restriction la pruderie sociale. Appliquer la méthode d’autorité, c’est avoir la paix. Certains dissentiments sont permis ; d’autres (jugés dangereux) sont interdits. Cela varie suivant les lieux et les temps ; mais, n’importe où vous êtes, laissez voir que vous êtes sérieusement partisan de quelque croyance à l’index, et vous pouvez être certain qu’on vous traitera avec une cruauté moins brutale, mais plus raffinée que si l’on vous tracassait comme un loup. Aussi les plus grands bienfaiteurs de l’intelligence humaine n’ont jamais osé, et n’osent pas encore, dire leur pensée tout entière. Cela fait qu’un nuage de doute plane de prime abord sur toute proposition, considérée comme essentielle au salut de la société. Et, chose assez singulière, la persécution ne vient pas toujours de l’extérieur : l’homme se tourmente lui même et souvent est plongé dans le désespoir, en découvrant qu’il croit à des doctrines que par éducation il considère avec horreur. Aussi l’homme paisible et doux résistera-t-il avec peine à la tentation de soumettre ses opinions à l’autorité.

Mais, par-dessus tout, j’admire la méthode de ténacité pour sa force, sa simplicité, sa droite ligne. Ceux qui en font usage sont remarquables par leur caractère décidé, la décision devenant très-faible avec une pareille règle intellectuelle. Ils ne perdent pas leur temps à examiner ce qu’il leur faut ; mais saisissant, prompts comme l’éclair, l’alternative quelconque qui s’offre la première, ils s’y attachent jusqu’au bout, quoi qu’il advienne sans un instant d’irrésolution. Un tel caractère est un de ces dons splendides qu’accompagnent généralement des succès brillants et éphémères. Impossible de ne pas envier l’homme qui peut mettre de côté la raison, bien qu’on sache ce qui doit à la fin en résulter.

Tels sont les avantages des autres méthodes sur celle de l’investigation scientifique. On doit bien en tenir compte. Puis on considère qu’après tout on désire que ses opinions soient conformes à la réalité, et qu’il n’y a pas de raison pour que tel soit le résultat de ces trois méthodes. Un tel résultat n’est dû qu’à la méthode scientifique. D’après ces considérations, il faut choisir, et ce choix est bien plus que l’adoption pour l’esprit d’une opinion quelconque : c’est