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aux yeux de la raison qu’aucune de celles mentionnées précédemment. Mais l’insuccès en a été plus manifeste. Elle fait de l’investigation quelque chose de semblable au goût développé : mais malheureusement le goût est toujours plus ou moins une affaire de mode ; c’est pourquoi les métaphysiciens n’ont jamais pu arriver à aucun accord solide. Leurs doctrines philosophiques, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, ont oscillé du matérialisme au spiritualisme. Aussi de cette méthode, dite a priori, sommes-nous amenés nécessairement à la véritable induction. Nous avons considéré cette méthode a priori comme un procédé qui promettait de débarrasser nos opinions des éléments accidentels et arbitraires ; mais l’évolution, si elle tend à éliminer les effets de quelques circonstances fortuites, ne fait qu’augmenter ceux de certaines autres. Cette méthode ne diffère donc point d’une manière très-essentielle de la méthode d’autorité. Le gouvernement peut n’avoir pas levé le doigt pour influencer mes convictions ; je puis avoir été laissé extérieurement complètement libre de choisir par exemple entre la monogamie et la polygamie, et, ne consultant que ma conscience, je puis avoir conclu que la polygamie était une pratique licencieuse en soi. Mais, lorsque je considère que le principal obstacle à l’expansion du christianisme chez un peuple aussi cultivé que les Hindous a été la conviction que notre manière de traiter les femmes est immorale, je ne puis m’empêcher de voir que, bien que les gouvernements n’interviennent pas ici, les sentiments seront en grande partie déterminés par des causes accidentelles. Or il existe des personnes, au nombre desquelles, je dois le croire, se trouve le lecteur, qui, dès qu’elles verront que l’une de leurs croyances est déterminée par quelque circonstance en dehors de la réalité, admettront à l’instant même et non pas seulement des lèvres que cette croyance est douteuse, mais en douteront réellement, de sorte qu’elle cessera d’être une croyance.

Pour mettre fin à nos doutes, il faut donc trouver une méthode grâce à laquelle nos croyances ne soient produites par rien d’humain, mais par quelque chose d’extérieur à nous et d’immuable, quelque chose sur quoi notre pensée n’ait point d’effet. Quelques mystiques s’imaginent trouver une méthode de ce genre dans une inspiration personnelle d’en haut. Ce n’est là qu’une forme de la méthode de ténacité, avant que se soit développée la conception de la vérité comme bien commun à tous. Ce quelque chose d’extérieur et d’immuable dont nous parlons ne serait pas extérieur, à notre sens, si l’influence en était restreinte à un individu. Ce doit être quelque chose qui agisse ou puisse agir sur tous les hommes. Bien que ces actions soient nécessairement aussi variables que la condition des